Chronique

Lee Konitz

Frescalalto

Lee Konitz (as, voc), Kenny Barron (p), Peter Washington (b), Kenny Washington (dm)

Label / Distribution : Impulse !

Lee Konitz, né le 13 octobre 1927, actif depuis l’éternité, toujours prêt à faire le métier, n’a jamais envisagé sérieusement de faire carrière, ne saisit pas trop ce qu’on veut dire quand on lui parle - un exemple entre mille - des sessions Birth Of The Cool, sinon qu’il y a fait ce qu’on lui demandait de faire : jouer du saxophone alto, dans sa manière à lui qui déjà se distinguait de toutes les autres. Alors quoi, son premier disque chez Impulse ? Ben oui, et on ne va pas en faire une histoire. Car l’histoire, c’est lui qui la fait, sans avoir l’air d’y toucher en plus.

Aérien. Quelque chose qui vient de Lester, évidemment. Drôle ce prénom d’ailleurs, en français ça connote la lourdeur « lester », mais non, c’est léger, ça vole par dessus les barres de mesure. Au début des années 90, Lee Konitz était déjà une légende, il jouait souvent à la fin de ses concerts le « Lady Be Good » de Lester Young, ou plutôt il le chantait, de sa voix un peu détimbrée. Mise en place irréprochable, évidemment. Le texte quoi. Aujourd’hui il se risque à une forme de scat, à deux reprises. Ça ne manque pas de charme, même si ça surprend, en tous cas c’est culotté.

Avec lui, jouer au « je me souviens » peut durer des lustres. Par exemple (toujours entre mille) cette façon de débarquer dans l’octogone du Marché des Chartrons, à Bordeaux, dans les années 2000 (avec les frères Schuller) et de demander immédiatement qu’on enlève tous ces micros, ces amplis, parce qu’il allait bien l’emplir à lui tout seul cette salle de 400 places parfaitement équilibrée. Et hop ! On y va. Après un solide repas (quel appétit messieurs !) faire défiler quelques standards, et toujours le « Subconscious Lee » des années 40. « Conscious Lee » m’avait-il répondu un soir dans un autre lieu bordelais en renversant sa bière.

Étonnant bonhomme quand même, plus âgé que Sonny Rollins, mais qui joue quasiment cent fois plus souvent ! Et qui ne demande jamais trop - sinon en termes musicaux s’entend. Pour le reste, l’important c’est de se produire souvent, pour ne pas perdre la main, le doigté, le souffle, la virevolte, l’équilibre, le rattrapage des chutes, la marche, le vol plané. Comment ne pas aimer cet être, malgré les ans qui se sentent bien quand même ici ou là, avec ses excès et son exigence ? Frescalalto c’est donc quelque chose de frais avec un alto, c’est aussi une fresque à l’alto, c’est « Stella By Starlight » dissimulé par ses soins, encore caché par Kenny Barron, et révélé par Peter Washington, puis accompli pat l’autre Washington à la batterie. C’est « Darn That Dream », « Out Of Nowhere », « Invitation » et finalement « Cherokee », bien sûr. Et quelques pièces de lui, variations sur des grilles qui font valoir surtout les espaces, et pas du tout les barres de métal.