Chronique

Les Fées du Rhin

Passages

Daniel Erdmann (ts), Benjamin Duboc (b), Antoine Paganotti (dr)

Label / Distribution : Sans Bruit

Belle surprise que ce Passages, enregistré par le trio Daniel Erdmann, Benjamin Duboc et Antoine Paganotti, devenus le temps d’un disque Les Fées du Rhin, sur le décidément très recommandable label Sans Bruit. Une musique qui, comme cette formation française et allemande à la fois, aime franchir les frontières et jouer de la confusion.

Il est question ici d’un hommage à Passages, l’un des textes issus de la première moitié de l’œuvre d’Henri Michaux qui en fournit le programme. C’est la période des petites formes en prose, entre chien narratif et loup poétique, où des instances vocales mal définies prennent la parole pour tordre la logique, distiller leur délire froid, troubler la représentation commune du monde. Avant les grandes expériences d’écriture sous mescaline, le poète s’intéresse aux états flottants de la conscience, aux pulsations de l’espace intérieur (un souffle au cœur lui donnait le sentiment d’un tempo intérieur pulsant à contretemps du tempo du monde). Il y parle aussi de musique, il se montre attentif aux timbres, aux répétitions, aux motifs simples. Un texte, des textes qui devaient bien finir par nourrir des musiciens, notamment cette prose poétique tirée de Passages qui remonte au mythe des sirènes dans l’Odyssée et à la légende de la Lorelei, ainsi qu’à toutes les formes de chant des créatures mi-humaines, mi-animales, entre oiseau, demoiselle et poisson.

Le trio se montre assez fidèle à l’esprit de Michaux et saisit avec finesse les enjeux des textes qui ont trait à la musique. Confrontation des tempos et des rythmiques (« C’était donc ça »), répétitions discrètement incantatoires (« Drames d’un instant » et ses sons multiphoniques au saxophone ou à l’archet sur la contrebasse), chatoiement mélodique en demi-teinte (« Les Fées du Rhin »), vibrations modulées du ténor (« Sur place », « L’Appel des ondines ») : le trio en état de grâce délivre une musique toujours douce, jamais brutale – on s’y laisse couler sans peine – mais chargée d’une tension qui maintient en permanence l’auditeur sur la brèche, mêlant superbement dissonances et lyrisme. La rythmique, qui complexifie volontiers son propos tout en privilégiant la sécheresse, déploie un canevas ouvert, sans thème, qui permet à chacun de mobiliser à bon escient son inventivité. Et de l’inventivité, le trio n’en manque jamais.