Portrait

Les Nervants

Il y a la musique, les musiciens, mais il y a aussi le public.
Petite chronique sous forme de choses vues, hier .. ou il y a vingt ans.


Notre triste histoire commence aujourd’hui dans la rue. Dans la file d’attente, malheureusement très mâle, sous la pluie des Petites Écuries, il y en a un qui parle plus haut que les autres. Pourtant son savoir n’a pas l’air très encyclopédique, ou alors c’est une encyclopédie people. Notre héros du jour sait si le saxo a repris deux fois de la béchamel ce midi avec ses endives ; il connaît l’adresse du gourbi quatre cafards « typique du vieux Paris » (traduisez un hôtel borgne du 18è mais plutôt côté Château Rouge que côté Amélie Poulain) que l’organisateur a déniché pour les musiciens. Ce gars sait tout, mais dans l’anecdotique, ce qui lui permet de jouer la connivence avec les artistes (peut-être un futur journaliste culturel ?).

Une fois dans la salle, prime à l’assiduité, il est au deuxième rang, face au pied de micro.

Pour peu que l’artiste soit anglo-saxon, notre héros va manifester son goût pour les langues. D’abord il multipliera les interpellations bien senties qui mettent tout le monde dans l’embarras (les musicos mais aussi la partie du public qui parle vraiment anglais). Mais, il ne s’arrête pas là. Dès que le musicien partage deux ou trois anecdotes avec l’assistance, notre champion se manifestera par un bruyant rire de connivence sur le mode « J’ai tout compris et c’était drôle ». Car, c’est ça son problème : attester publiquement qu’il fait partie de la famille même si, accessoirement, ça l’empêche d’écouter la musique (dommage mineur) et que ça gêne les autres (dommage négligeable). En fait il s’est choisi une idole à la hauteur de ses prétentions culturelles, mais ça ne l’empêche pas de se comporter comme n’importe quelle adoratrice sexagénaire de Franck Michael ou minette prépubère fan de Nolwenn ou Jean Pascal. Sauf que Mémé et sa petite fille sont peut-être plus respectueuses des autres et des artistes.

Le musicien est le cul entre deux chaises face à ce genre de personnage. Il faut le comprendre, des fans il n’en a pas beaucoup, alors c’est vrai qu’il se passerait bien des chiants, mais bon …

Et puis, notre héros est prosélyte, non seulement son opinion n’a aucun intérêt, mais il se dépêche d’en faire profiter… le vaste monde, via un petit blog des familles.

En plus notre ami a parfois de bons côtés, il peut de temps en temps lancer une saillie réellement drôle (c’est la beauté des statistiques, plus il accumule les interventions consternantes, plus la probabilité d’une intervention pertinente augmente) ou bien réveiller une salle un peu molle.

Après tout un bon énervement ça peut être salvateur. Témoin, cette chronique.

par Thierry Rousselin // Publié le 28 juin 2004
P.-S. :

Citer un concert en particulier serait désobligeant. Notre héros sévit vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.