Chronique

Lewandowski / Noble / Clarvis

Waller

Liam Noble (p), Mark Lewandowski (b), Paul Clarvis (dms)

Label / Distribution : Whirlwind

Un hommage à Fats Waller ne peut être que facétieux et hâbleur ; c’est l’image publique du maître du piano stride, amuseur virtuose tout en grimaces à qui l’on doit des standards comme « Jitterburg Waltz » et surtout « Ain’t Misbehavin’ », thème d’un musical de Broadway avec des paroles d’Andy Razaf… Fats, le roi de l’entertainment et des pianos mécaniques, qu’on retrouve dans le jeu de chat et de souris entre la contrebasse de Mark Lewandowski et le piano de Liam Noble sur le délicieux « I’ll Be Glad When You’re Dead… Suzannah ! » où le thème est amené tout en pizzicati boisés pendant que le piano distille quelques enluminures aux reflets classiques. Car un bon hommage à Waller consiste à changer de focale et se concentrer sur le musicien. Mélodiste ravageur et pianiste remarquable qui joue, dans tous les sens du terme, mais ne s’arrête pas là. C’est ce qui transparaît de la douceur de l’interprétation de « Fair & Square… In Love » où le piano de Noble s’abandonne à une mélancolie à peine caressée par les fûts de Paul Clarvis.

Tout en filigrane, à l’instar du chapeau et de la clope éternelle du pianiste à l’honneur, le trio réuni par le jeune Mark Lewandowski présente un Waller résolument moderne, dans les pas des revisites d’ Aki Takase, mais avec une pointe d’humour qui ne se veut pas iconoclaste. Le contrebassiste, qui a déjà écumé les scènes britanniques, s’est entouré de deux piliers. Le percussionniste Paul Clarvis, qu’on a pu entendre récemment avec Josephine Davies, apporte un grain particulier dans le trio qui s’approprie collectivement la rythmique pour s’offrir beaucoup de liberté (« It’s A Sin To… Write A Letter »). Quant à Liam Noble, nous sommes davantage accoutumés à l’entendre avec Tom Rainey et Ingrid Laubrock dans des registres plus contemporains. Mais il ne faut cependant pas s’y tromper : dans l’incontournable « Lulu’s Back In Town », alors qu’il fourrage dans les entrailles de son piano, c’est comme s’il en tirait un stride moderne et éblouissant.

Un trésor ancestral qui n’aurait rien perdu de sa superbe et swinguerait comme il convient de le faire, mais sans non plus s’en tenir à la lettre. Si Lewandowski impressionne, c’est par sa capacité à s’emparer de l’esprit de Waller sur sa contrebasse, dans une démarche assez proche de ce que peut proposer l’Umlaut Big Band. Le pianiste est plus trangressif, sans renverser la table. Il ne suffit que d’une poignée d’ombre pour qu’une perspective change… De loin en loin, on entend la voix de Fats Waller dans les premières secondes d’un morceau. Une pincée de notes parfois, dans le craquement d’un vieux vinyle. C’est comme une réminiscence, feutrée et lointaine mais définitivement vivace. Un spectre qui viendrait congratuler le trio. Le très court « Honeysuckle Rose », presque une miniature, débute ainsi par un passage de relais entre deux siècles, entre des artistes qui font vivre une musique qui se régénère sans sentir la naphtaline et encore moins le soufre. Juste des fragrances d’asphalte et de tabac blond dignes des rues d’un Harlem qui se serait, le temps d’un disque, déplacé sans encombre dans un coin des Midlands. Ain’t Misbehavin, pas vrai ?