Chronique

Linda May Han Oh

Walk Against Wind

Linda May Han Oh (b, voc), Ben Wendel (s), Matthew Stevens (g), Justin Brown (dm)

Label / Distribution : Biophilia Records

Il y a des disques qui vous laissent pantois. Bouche bée. Cette proposition ô combien perturbatrice de la part d’une maîtresse contrebassiste (qui sait aussi redonner toute sa noblesse swing à la basse électrique) ne peut que bousculer les certitudes jazzistiques. Des modes mineurs étranges, parfois étrangers l’un à l’autre dans un même morceau, font se rencontrer l’Orient et l’Occident dans une danse hallucinée. Quoi de plus normal de la part d’une musicienne totale, née en Malaisie, qui a grandi en Australie et a passé son adolescence dans des groupes de rock-garage avant de conquérir la Grosse Pomme où elle a développé son propos musical dans des clubs, montant ses compositions à l’occasion d’ateliers.

Il y a là comme un jeu avec l’invisible, inspiré de la marche du Mime Marceau (grand Résistant s’il en fut), qui donne d’ailleurs son titre à l’album : la « marche contre le vent ». Cette dernière fut aussi l’apanage d’un certain Michael Jackson et nourrit le titre « Firedancer », qui aurait pu ainsi fournir la trame d’une de ces chorégraphies dont l’icône de la pop avait le secret. Ces déambulations sont autant d’appels à la Résistance. Et ces parties vocales siréniennes destinées à charmer les navigateurs et navigatrices de tous horizons ?… Elles nous hypnotisent ! Madame a semble-t-il tiré quelque enseignement de son travail pour le cinéma documentaire indépendant et pour l’absurde du western spaghetti dans le studio de… George Lucas. C’est dire si elle a de quoi faire naître des images.

Linda May Han Oh sait y faire dans le don/contre-don, tant avec ses musiciens qu’avec les communautés pour lesquelles elle se livre body and soul. Les musiciens justement : Ben Wendel, immense saxophoniste (on peut l’entendre aux côtés de Kneebody et de Snoop Dog), puise dans les tréfonds de l’instrument pour intégrer le son collectif ; Matthew Stevens (par ailleurs repéré aux côtés de Christian Scott et d’Esperanza Spalding, consoeur bassiste) utilise toute les palettes de sa guitare pour déployer le récit d’ensemble ; Justin Brown, batteur sans fard impliqué dans le meilleur des étoiles montantes du jazz new-yorkais (Ambrose Akinmusire, Gerald Clayton, Avishai Cohen le trompettiste).

La leadeuse, par ailleurs enseignante dans diverses institutions jazzistiques d’importance, sait donner la parole à ses compagnons de route tout en gardant, avec une ambition d’expérimentation, un sens de l’Histoire tout à fait contemporain. Des titres évocateurs de préoccupations écologistes à la conception d’un emballage de CD en produit recyclé (et en origami siouplaît !) : Linda May Han Oh sème les graines d’un jazz résolument ancré dans les luttes pour la biodiversité !