Chronique

Linky Toys

Linky Toys

François Guell (as), Nicolas Arnoult (acc), Charlie Davot (b)

Label / Distribution : Autoproduction

L’injustice n’a que trop duré : à force de résumer Nancy à l’école du même nom, à l’Art Nouveau, à la bergamote et à la Place Stanislas, on en oublierait presque l’existence du collectif Emil 13 (pour Expériences Musicales Improvisées en Lorraine) et de ses musiciens, qui agitent la scène régionale depuis une vingtaine d’années.

Symbole d’indépendance et d’inventivité aux confins du jazz et des musiques improvisées, il est pourvoyeur d’événements à travers un réseau qui s’appuie sur différents moyens de diffusion (un festival, une publication, un label). On se souviendra du Nomadic Ensemble et du Groupe Emil comme preuves de sa créativité. Récemment, Citizen Jazz a salué Murmures, le premier disque de son big band Les 1000 cris ; et quand on scrute le nom des musiciens qui opèrent au sein du Bernica Octet cher à François Jeanneau et à sa science du soundpainting, on s’aperçoit qu’une bonne moitié de ses membres provient du même chaudron. Emil 13, jamais en repos, jamais reposant non plus : avec cette bande-là, il se passe toujours quelque chose.

Linky Toys est un autre avatar du collectif, dont la naissance remonte à quatre ans environ : d’abord formé par François Guell (saxophone alto) et Michel Deltruc (batterie), le duo est devenu trio avec l’arrivée de Nicolas Arnoult, avant de changer de batteur et d’accueillir Charlie Davot. De quoi modifier profondément le rapport entre les instruments car l’accordéon, avec la sécheresse de son souffle, son absence de réverbération, fournissait au groupe un nouveau champ de recherche à mener sur le son. Les trois musiciens ont dû travailler pour remodeler les textures et inventer des couleurs. Si la formule n’est pas inédite – Denis Charolles et son Melosolex (avec Vincent Peirani et Fred Gastard) sont déjà passés par là – Linky Toys attire d’emblée l’attention, à la fois par sa poésie brute et par son ouverture aux musiques du monde, des pays de l’Est au tambour batá (Nigéria et Cuba). Musique habitée de mille histoires, musique de danse aussi, elle évoque parfois la bande-son d’un film d’Emir Kusturica, entre nostalgie et désenchantement hypnotique.

La publication d’un EP est en général un prélude : disque d’appel en attendant un format plus spacieux, carte de visite à l’attention des programmateurs, il est le plus souvent une promesse, pas toujours aboutie. Avec ces 32 minutes urgentes et tendues, Linky Toys va bien au-delà du galop d’essai : les thèmes très écrits, très forts (aux quatre compositions originelles signées Guell ou Arnoult, il faut ajouter « Doin’ The Pig » de Steve Swallow), accordent une place essentielle au rythme, mais aussi et surtout à la définition de ce que les musiciens qualifient eux-mêmes de « pâte sonore ». L’absence de basse conduit Charlie Davot à jouer une autre partition que celle du batteur « classique » : il lui faut occuper la place libre, créer la pulsion tout en recourant à son imagination pour peindre ses propres motifs rythmiques (les petites inventions de « Doin’ The Pig », par exemple). A ses côtés, Guell, tout en sinuosités inquiètes, et Arnoult, remarquable metteur en espace, œuvrent à l’association des leurs, parfois mouvantes, parfois flottantes (« Globo »), avant de libérer leurs énergies par des chorus nerveux aux déchirements zorniens (ainsi le saxophoniste sur « Walz Für Osun »).

Ce disque est le premier fruit d’une démarche artistique assumée par un trio qui n’a certainement pas dit son dernier mot. Sa chaleur est celle d’une âme qui se met à nu, l’émanation d’un souffle existentiel qui en dit long sur le fait que la musique de Linky Toys ne doit rien au hasard. A découvrir sans attendre, donc.