Scènes

Lou Donaldson Quartet

Lou Donaldson enflamme la nuit bruxelloise


Le Café Central, Bruxelles
15 janvier 2002

Lou Donaldson (as, voc), Dr. Lonnie Smith (org), Randy Johnston (g), George Johnson (d)

« Ca paraît incroyable, mais il est encore là » s’étonnait sincèrement Philippe Baron à la radio en annonçant ce concert de Lou Donaldson. En effet, il est plus que vétéran, mais sait encore se faire lever les foules. D’autant plus qu’il était secondé par l’orgue Hammond du Dr. Lonnie Smith, présenté par Donaldson comme étant « Oussama Ben Laden. Il vaut 75 millions de dollars, je vais le dénoncer demain. » Rodney Johnson distillant des bons gros grooves boogaloo et hard bop vintage et Johnston faisant de même avec des licks blues-funk-jazz à la guitare, finissaient de transformer le sombre Café Central en blues bar explosif.

Trois surprises avant le concert : le panneau « No smoking please » à l’entrée (quel bonheur de pouvoir écouter de la musique et respirer !), la salle absolument bondée et inconfortable (le Café Central, c’est gratuit, mais les conditions d’écoute y sont toujours assez difficiles) et la coupure de courant nous plongeant dans le noir pendant quelques minutes.

Le concert commence avec Blues Walk, mettant le ton de tout ce qui viendra ensuite. En effet, qu’il s’agisse d’un blues, d’un standard ou d’un boogaloo, on entendra toujours plus ou moins la même chose, mais c’est à l’énergie que ça passe. Du premier set, l’on retiendra le solo touchant de Smith sur Over the Rainbow, un Alligator Boogaloo obligatoire (et réclamé par un public conquis d’avance), la transition astucieuse de Gravy Train (« Disponible chez Blue Note Records. Achetez-le s’il-vous-plaît, nous avons besoin de l’argent ») à Take the A Train par voie d’une batterie imitant un train, et surtout le chant de Donaldson sur le lent shuffle-blues de Whisky-Drinking Woman, qui fera hurler de plaisir l’assistance. On peut penser à André Hodeir dénonçant les spectateurs blancs européens singeant ce qu’ils pensent être les habitudes des spectateurs noirs américains, mais comment réagir autrement à des paroles telles que « She puts whiskey in her coffee / She puts whiskey in her tea / The whiskey she doesn’t drink / She pours it all into me » ?

Le deuxième set s’ouvre sur Bye bye Blackbird et le verbe toujours aussi acide de Donaldson : « Voici un morceau rendu célèbre par Miles Davis – quand il faisait encore du jazz. » Il n’y a pas eu de changement stylistique, mais le boogaloo (non identifié) suivant a porté au plus haut l’intensité et la joie du blues passé à la moulinette des rythmes funk. Tout le monde l’a senti : les réactions du public se mesuraient presque sur l’échelle de Richter.

La sensation d’avoir échangé le froid Bruxellois pour la moiteur du Mississippi s’est prolongée avec le morceau suivant, encore un magistral blues chanté, cette fois-ci au sujet de rêves induits par « des cigarettes sans nom, vous savez desquelles je parle, » particulièrement virulentes venant du Pakistan. On a pu y entendre (toujours à la grande joie de tous, y compris les autres musiciens) le commentaire sexuel habituel du blues ( « My woman and I got married / Raised a great big family / We had twenty children / And not one of them looked a damn thing like me » ), ainsi que les racines de la vantardise du rap (« I went to the White House / Sat in the President’s chair / George Bush, Jr. walked in and said : / Lou Donaldson, I’m glad that you’re here »).

Tout au long du concert Smith a livré des solos de blues funky et entraînants comme il en a l’habitude, particulièrement inspirés lors du deuxième set. Il aura seulement été gêné par quelques malfonctionnements de son orgue. D’ailleurs, je n’avais jamais encore vu le fameux orgue Hammond B-3 en personne, c’est un véritable cockpit ! A côté de ça, transporter une batterie, ce n’est rien ! Johnson a assuré, en accompagnement comme en solo, des beats puissants et imparables. Seul Johnston aura été plus « gentil », avec un son et un jeu plus légers refusant de se rouler au plus profond de la soul.

Pour le rappel réclamé à cor et à cri, Donaldson a déclaré : « Ce prochain morceau est très compliqué, ce n’est pas pour la musique de fusion et de confusion », avant de nous jouer… John Brown’s Body !

Alors, même si la technique et la maîtrise du son ont forcément baissé, même si la musique n’a pas évolué d’un iota depuis des décennies, même si la suramplification a rendu l’écoute un peu désagréable (grosse caisse à faire s’affaisser la cage thoracique, saxophone rendu strident et sans nuance), entendre cet humour, cette énergie et ce groove inarrêtable fait forcément grand plaisir. Même quand on a raté le dernier métro.