Chronique

Luzia Von Wyl Ensemble

Frost

Label / Distribution : Hatology / Harmonia Mundi

En musique comme en sciences naturelles, c’est chose rare d’assister à une éclosion.

C’est fugace, une éclosion, et parfois, on ne s’en aperçoit que quand elle a déjà eu lieu… Si bien qu’on ne l’a pas vu. Celle qui concerne le talent de la pianiste suisse Luzia Von Wyl a failli nous échapper, tant il est soudain et précoce. C’est une récente collaboration avec le quatuor IXI et le Melanoia de Dejan Terzic, pour qui elle a écrit des partitions qui fait apparaître son nom de ce côté-ci du Jura. D’autres avaient vu arriver le phénomène : à moins de trente ans, la jeune femme signe avec Frost son premier album avec le Luzia Von Wyl Ensemble sur le prestigieux label HatHut. Une oeuvre très écrite qui laisse la part belle aux motifs minimalistes et aux agencements de timbres, dans une droite lignée d’un label qui a accueilli en son temps le Vienna Art Orchestra de Matthias Rüegg ou le Mike Westbrook Orchestra.

Deux glorieux prédécesseurs desquelles elle pourrait légitimement se réclamer, si son tentet n’avait pas déjà son identité propre. Fruit d’une instrumentation atypique qui favorise les bois, à l’instar du travail de Harris Eisenstadt, il confère une douceur à ces morceaux courts bâties sur la forme d’histoires miniatures aux univers propres, relié par un petit fil entêtant. Voir ainsi ce « Jingle » où le basson de Maurus Conte répond à la flûte d’Amin Mokdad avant d’être rejoint par un tutti. Les solistes s’imbriquent à l’image des pièce d’un jeu de patience, que la pianiste colore discrètement où soutient par une rigueur rythmique sans relâche. C’est le cas de « Joke », où elle mêle la percussivité de son piano aux marimba délicieusement zappaïenne de Raphaël Cristen. Van Wyl ne tire jamais la couverture à elle, elle se fond dans le collectif ou plutôt s’immerge dans la multitude, préférant contrôler le cœur de la machine aux côtés du contrebassiste André Pousaz, aperçu avec Sarah Buechi notamment (« Frost »). Les constructions de Luzia Von Wyl sont audacieuses et pourtant d’une grande clarté. On peut le constater sur ce véritable concentré de force centrifuge que constitue « Overlap », où même sur ce « Tick-Tock » inaugural qui aurait toute sa place dans les villes européennes imaginées par Olivier Benoit.

Avec ce Frost, la compositrice ajoute une pierre de plus à ce vieux syncrétisme entre musique classique, contemporaine et jazz. Elle s’en empare avec une jubilation évidente et une simplicité qui force l’admiration. Même lorsque les morceaux sont complexes, on perçoit un détachement, une insouciance qui ferait presque songer à des bulles pop telle qu’on en trouve dans l’Andromeda Mega Express Orchestra de Daniel Glatzel. Mais Von Wyl assume le choix de s’attacher plus au fond qu’à la forme. Pour cela, elle s’appuie sur des musiciens polyvalents, capable à la fois d’improvisations intenses et d’une approche largement concertante comme le formidable clarinettiste Lukas Roos. Cela lui permet de dépasser l’exercice de style pour jeter les bases d’un discours d’une grande maturité. Il y a fort à parier que des pages seront encore écrite sur la musique de la compositrice. Mais il serait dommage de ne pas profiter des maintenant de l’épanouissement de ce talent précieux.

par Franpi Barriaux // Publié le 29 novembre 2015
P.-S. :

Luzia von Wyl (p, comp, dir), Amin Mokdad (fl), Nicola Katz (cl) Lukas Roos (bcl), Maurus Conte (bsn), Simon Heggendorn (vln), Jonas Iten (cello) ; Andre Pousaz (b), Raphael Christen (marimba) Rico Baumann (dms)