Chronique

MMM Quartet

Oakland / Lisboa

Joëlle Léandre (b), Alvin Curran (cla, elec, fx), Fred Frith (g), Urs Leimgruber (ts, ss)

Label / Distribution : Rogue Art

C’est un satané meeting qui s’est déroulé à Lisbonne en plein milieu de l’été 2014, pendant le festival Jazz Em Agosto. Une brochette de vieux complices qui se connaissent depuis des décennies, ont souvent joué les uns avec les autres, dans des configurations différentes, mais ensemble - tous ensemble - vraiment très rarement [1] ; au regard des pedigrees respectifs, ce ne pouvait être qu’un événement. Jugez plutôt : entre l’archet de Joëlle Léandre et le brouillard électrique diffusé par Alvin Curran et Fred Frith, c’est plus de quarante ans de musique libre, frappeuse, insoumise, qui se concentre dans « Belem ». Quatre fois quatre décennies, même, lorsque les anches du Suisse Urs Leimgruber, qui animait le fameux quartet noir avec Léandre et Marylin Crispell, se mettent à siffler et à slapper au cœur d’une trame faite de ronflements et de samples éclatés. On pourrait imaginer un fracas, une accélération de particules. C’est une vague. Certes, elle tient parfois du tsunami qui submerge, à l’instar de la guitare de Frith, mais elle sait également se réduire en gouttelettes lorsque Curran lâche ses machines pour revenir au piano, le plus cristallin qui soit.

Il est des groupes qui se forment sur les bancs de l’école ; le MMM quartet s’est plutôt rencontré dans les chaires. MMM signifie Mills Mafia Music, en hommage à la Mills High School d’Oakland où les quatre improvisateurs ont été enseignants, à un moment ou un autre. Le terme de Mafia, dans cette ville de Californie rongée par le crime, ne révèle pas l’allégeance à un quelconque cartel autre qu’exclusivement musical. Les personnalités du quartet ont toutes des parcours marqués par les transgressions de barrières musicales, avec la musique contemporaine comme cœur palpitant. Cela se perçoit dans le saisissant « Maxwell Park », le moment d’intensité maximale pour ce concert entièrement capté sur Oakland/Lisboa pour Rogue Art, lorsque la masse orchestrale paraît à la fois dense et insaisissable et que la voix de Léandre, rendue lointaine par les traitements électroniques, dompte les flots contraires jusqu’à un unisson presque apaisant.

La Mafia ici est à entendre comme une forme de connivence, tels des réseaux souterrains qui soutiennent un fonctionnement fluide. L’osmose électrique entre les craquements de Curran, architecte omniprésent de ce déplacement transatlantique, et les coups de boutoir attentifs de Frith, en est la clé de voûte la plus visible mais elle n’est pas unique. Il y a la dualité complice des aigus de Leimgruber et des infrabasses de Léandre qui donnent du lien à l’orchestre (« Millsmont »), et des dizaines de combinaisons possibles qui semblent tendre à l’infini. MMM quartet n’est pas à confondre avec un paquet de friandises chocolatées, mais il y a tout de même un point commun : sous une apparence fort colorée se cache un cœur sucré et mystérieux qui se termine en éclat de rire sur « Alfama ». A l’instar de son quasi-homonyme, le disque ne fond pas non plus dans la main. Il reste même solidement arrimé à la platine.

par Franpi Barriaux // Publié le 17 avril 2016

[1On notera tout de même un remarqué Live at the Metz’ Arsenal paru en 2012 chez Leo Records.