Chronique

MOTIF

My Head Is Listening

Eivind Lønning (tp), Atle Nymo (ts, bcl), Michael Thieke (cl), Håvard Wiik (p), Ole Morten Vågan (b), Håkon Mjåset Johansen (dms)

Label / Distribution : Clean Feed

Majoritairement constitué de musiciens norvégiens (hormis le clarinettiste allemand Michael Thieke), MOTIF est un sextet dont le contrebassiste Ole Morten Vågan assure la direction et la composition du répertoire. Le moins que l’on puisse dire est que ce groupe représente fièrement la scène norvégienne, qu’on a en France tendance à réduire au jazz scandinave éthéré cher au label ECM ou à une poignée d’activistes radicaux de la musique improvisée. Loin de ces extrêmes, la musique jouée ici est tout à la fois ancrée dans la tradition du jazz et d’une revigorante modernité. L’écriture de Ole Morten Vågan s’inspire du bop comme de la musique contemporaine, et il n’est pas rare de percevoir quelques fragrances de Thelonious Monk ou Charles Mingus, au détour d’un thème que le sextet s’empresse de faire voler en éclats, pulvérisant les parois des compositions pour y aménager des espaces de dialogue, des saynètes faisant appel aux talents de chaque membre, le sextet se disloquant à l’envi en une myriade de petites formations. Ainsi est évité l’écueil du trop-plein, des titres à rallonge remplis de solos dispensables.

Le seul trop-plein à signaler est un trop-plein de vie ! Qui s’en plaindra ? D’autant que ces musiciens, tous peu exposés en France, ont de belles personnalités : ce sont des techniciens inventifs et lyriques dont l’engagement dans le jeu sort du cadre de la prise de parole individuelle. Chaque solo apporte de l’allant au jeu collectif et l’irise de couleurs harmoniques sans cesse réinventées. Atle Nymo dynamite la machine d’entrée de jeu sur le morceau « My Head Is Listening » et, dans son sillage, le groupe se précipite dans un bop tendu qui fait suite à un thème très monkien strié d’éclairs contemporains. Très vite, un changement de climat saisissant s’opère et le contrebassiste se retrouve à converser paisiblement avec le pianiste Håvard Wiik, époustouflant tout au long du disque. Leur conversation aboutit sur un retour au thème et un retour au bop, avec cette fois le trompettiste Eivind Lønning en agitateur inspiré.

Les compositions sont polymorphes ; elles semblent dotées d’une vie propre, au-delà de l’écriture formelle. Et elles ont toutes une atmosphère, un charme singulier. Ainsi le groupe déploie son jeu dans la suspension (« Little Cage », songe traversé par des souffles aux belles textures harmoniques et de sensibles bouquets de notes au piano, la partie centrale de « Ballroom Glitch ») ou l’effervescence (« The Guns Of Amarone », où par deux fois s’illustre en solo le batteur Håkon Mjåset Johansen, ou encore « Beams, Dreams And Automobiles », morceau dans lequel la musique latine est convoquée sans tropisme, pour servir un thème enjoué). On entend sur un titre comme « Ich Bien Ein Belieber » toute la modernité, mijotée dans de vieilles et belles casseroles, dont le groupe est capable. S’y mêlent, et tout au long du disque d’ailleurs, jusqu’à l’ultime morceau et ses magnifiques parties contrastées, la musicalité et la vivacité qui font du jazz une musique qui parle au corps, et la poésie ou la sophistication qui parlent à l’âme.