Chronique

Mal Waldron

One More Time

Mal Waldron (p), Steve Lacy (ss), Jean-Jacques Avenel (b).

Label / Distribution : Sketch Records

Un deux trois…

Qu’on ne s’y trompe pas justement, cet album n’est pas celui d’un trio véritable, mais de trois voix qui se font entendre et sur seulement deux titres. On assiste à diverses combinatoires, avec une prédominance pour les duos piano-contrebasse : un swinguant « Blues for JJ’s Bass », « The Seagulls of Kristiansund » constamment inventif et un « Rites of Initiation » de près de douze minutes d’improvisation engagée. Jean-Jacques Avenel se révèle plus qu’un accompagnateur : avec un son rond et boisé, bondissant quand il convient, une réelle présence farouche et libre, il fait chanter ses solos qui racontent tous une histoire. Mal Waldron s’abandonne à son tour avec générosité dans son accompagnement. Ainsi se joue entre les deux musiciens un glissement permanent de la relation. Ce déplacement inclut aussi Steve Lacy, et les lignes propres de chaque musicien, encrées dans le graphisme de la pochette (c’est le clin d’œil Sketch, sa marque de fabrique) s’entrelacent, se recoupent en tresses de couleurs interchangeables. Avec You c’est au tour de l’ami américain de jouer du soprano avec une sensibilité tendre. Comme une récréation souriante après la tension de certains morceaux, la mélodie file sans la moindre résistance, un fredon que l’on retient tout de suite, pour longtemps.

On peut avec Mal Waldron se réjouir de la parution de ce dernier album. Il nous livre ainsi avec ce One More Time un petit fragment d’éternité. Oui, encore une fois, il a mis en jeu corps et âme. C’est que le pianiste prend la ballade comme prétexte à un retournement, de l’apparente simplicité du thème, résolument mis en route, au lent martèlement d’une marche qui a tout de funèbre. L’inaccessible a-t-il été entrevu par cet homme à la chevelure de neige, et au regard toujours brillant ? Son jeu sobre et intense, par la rythmique répétitive, transforme cette insistance en fascination irrépressible, plus proche du vertige. La douceur de la mélodie vrille l’âme, et l’entraîne dans une nostalgie singulière, sans allégresse dans l’attaque mais aussi sans le moindre désir d’échapper au silence. D’ailleurs pour cet All Alone qu’il écrivit après la disparition de Billie Holiday, dont il fut l’un des derniers accompagnateurs, Philippe Carles évoquait « le grain du silence qui entoure la musique de Mal Waldron » dans la version au Yamaha Hall de Tokyo en 1971. C’est exactement ce que la mémoire affective retiendra de ce tintement singulièrement obsédant.