Entretien

Malik Mezzadri

Rencontre avec le flûtiste autour de son projet Fanfare XP

Photo : Magic Malik par Laurent Poiget.

Peu avant son concert à la Petite Halle de la Villette, en première partie de Steve Coleman and Metrics, nous avons eu l’occasion de partager un moment d’échange avec Malik Mezzadri alias Magic Malik.

Magic Malik par Marie Lavis

Le compositeur, flûtiste et vocaliste, est accompagné ce soir des musiciens de la Fanfare XP, une nouvelle formation qui réunit les membres d’un jeune collectif à géométrie variable. Ils joueront ce soir les compositions de leur disque « Magic Malik Fanfare XP », dont la sortie chez Onze Heures Onze est annoncée en février 2018.

- Votre concert, le premier set de la soirée, est programmé dans le cadre de la résidence du saxophoniste Steve Coleman à la Petite Halle. Ce n’est pas votre première collaboration, ni la première fois que vous êtes ensemble à l’affiche. Cela représente une étape importante pour vous aujourd’hui ? Ou simplement le plaisir de jouer ensemble ?

Tout d’abord, c’est toujours bien d’être en compagnie de personnes que l’on estime et dont on se sent proche, des musiciens comme Steve Coleman ou des musiciens français. C’est ce qui fait le jazz contemporain. Steve Coleman est un confrère dont je respecte beaucoup le travail, il est mondialement connu et son aura rayonne dans toute la salle ce soir. Ensuite, la Petite Halle est un lieu que je connais bien, dans lequel on a déjà joué avec la Fanfare. Ce n’est pas une étape particulière pour le groupe, mais plutôt le plaisir de jouer, d’être là pour jouer ensemble, pour écouter le concert de Steve Coleman aussi, pouvoir discuter de musique avec lui, voir où il en est et inversement.

La fanfare permet un espace plus ouvert et plus modulable que d’autres formations

- A quand remonte votre rencontre avec Steve Coleman ? En 2002, au moment de la sortie de l’album « On The Rising Of The 64 Paths » chez Label Bleu ?

Je l’ai rencontré quand j’ai signé mon premier disque chez Label Bleu et avant ça, la toute première fois, c’était au petit-déjeuner dans un hôtel, lors d’un festival en Hollande. De fil en aiguille, on s’est revu et on a eu envie de faire des choses ensemble.

- Vous avez repris contact récemment ?

On peut dire qu’on a été en contact à cette période, mais pas vraiment par la suite. La dernière fois qu’il est venu en France, on a passé un bon moment à discuter de musique. Ce soir, son trompettiste Jonathan Finlayson va venir jouer un morceau sur scène avec nous. Mais on n’a pas eu le temps d’échanger encore, pour l’instant. Écouter mutuellement nos musiques, c’est déjà en soi un échange. Pour un musicien, la meilleure manière d’échanger, c’est quand même déjà de jouer sa musique.

- La Fanfare XP est le fruit de réflexions communes au cours d’une résidence à la Fondation Royaumont, où vous avez notamment rencontré Olivier Laisney, du collectif Onze Heures Onze. Comment est née cette idée commune ?

Oui, en effet. A la fin de cette résidence, on a joué une « XP » qui avait des airs de fanfare. J’avais cette envie, depuis un moment, de faire quelque chose autour d’une fanfare, ou en tout cas dans cet esprit. La fanfare permet un espace plus ouvert et plus modulable que d’autres formations. Un espace où la musique est liée aux musiciens qui connaissent le répertoire, et non pas relative à un effectif précis. J’avais donc envie de créer un ensemble autour des « XP » dans cet état d’esprit, et en parallèle, de rassembler un collectif dont la motivation première ne soit pas de créer un marché parallèle du travail, comme c’est souvent le cas. Ici, l’idée est de rassembler les personnalités autour d’une idée commune de la musique et non pas de créer un réseau qui nous permette de jouer, de susciter de l’activité, etc.

Il s’agit de créer de la cohérence dans la musique, autour d’une charte, que j’ai écrite et qu’on peut retrouver dans le livret qui accompagne le disque. Sa sortie est prévue chez Onze Heures Onze en février prochain. Ce label est important pour nous, compositeurs, interprètes, musiciens de jazz contemporain, parce qu’il s’intéresse à la musique et non pas au business ou à ce qui est écrit sur la fiche. Ça lui est égal que ce soit « hommage à Bill Evans » ou autre… La « Charte musicale des compositions de la Fanfare XP » permet à chaque musicien participant d’écrire la musique. Chaque membre de la fanfare peut être compositeur, à partir du moment où il respecte la charte.

Malik Mezzadri

- Il s’agit d’un projet qui permet de réunir un nombre variable de musiciens, volontaires et de tous horizons, pour explorer la composition et l’improvisation sous des angles originaux. Vous aimez diversifier les collaborations ? C’est une richesse qui favorise la créativité ?

Pendant très longtemps, j’ai travaillé avec les mêmes musiciens et ça n’a jamais bougé. Les « orchestra » ont permis des collaborations de plus de dix ans, ou en tout cas, qui ont toujours duré plus de 7 ans. En général, j’entretiens des relations musicales sur le long terme. Je connais Maxime Zampieri, le batteur qui sera sur scène ce soir, depuis 1999. Sarah Murcia est restée au moins 10 ans à mes côtés. Puis, des musiciens plus jeunes se sont intéressés à ce que j’ai fait. Et aujourd’hui, au fil des rencontres et l’âge avançant, cela me semble naturel de m’inscrire aussi dans une démarche de passation. Dans la fanfare XP, par exemple, beaucoup de musiciens ne sont pas de ma génération mais de la génération suivante. Le projet reste construit autour de mes recherches musicales, et j’aimerais qu’elles aboutissent à quelque chose que tout le monde pourrait s’approprier.

- Vous animez de nombreux workshops. J’ai eu l’occasion d’écouter l’un de vos concerts au Zorba à Belleville, lors d’une « soirée curieuse ». Ce sont des rendez-vous réguliers autour de votre travail ? Il y a un côté ludico-pédagogique qui fonctionne très bien. Comment considérez-vous cette part de transmission dans votre approche musicale ?

Le phénomène de transmission apporte la même fascination que lorsque l’on assiste à cette propriété inhérente à l’univers de faire des transferts d’informations d’un état à un autre. On peut voir les choses se propager, se reproduire. C’est assez fascinant pour moi, de voir que les morceaux joués dans la Fanfare XP ont cette couleur, cette touche particulière des « XP ». Je n’aurais pas pu les écrire, alors qu’ils sont basés sur des concepts que j’ai développés. Ils sont détournés par les compositeurs, qui essaient de se les réapproprier ou d’amener des nouveautés. Simplement dans le caractère de ce qu’ils ont écrit, il y a quelque chose qui leur appartient complètement, même si ça fait partie d’une esthétique commune - je peux le dire de cette façon, maintenant que le travail formel a été fait - une esthétique qui me correspond.

Au Zorba, on joue un jeudi par mois, tous les mois, lors des « soirées curieuses ». La pédagogie est présente dans ma vie depuis 3 ans maintenant. Ce qui est intéressant dans la transmission, c’est qu’on doit se brancher sur ce qui fait son essence. On ne peut pas transmettre tout ce qui nous constitue, donc on doit tirer une essence de son travail, qui sera plus facile à partager. La pédagogie réside finalement dans la formalisation de la façon dont on va transmettre les choses. Mais il a fallu déjà, avant, faire un retour sur soi.

On ne doit pas être obligé de faire des calculs pour pouvoir faire une pièce.

- Au fil des années, vous avez développé votre « langue personnelle », reliée à ce qui apparaît comme des noms de code, les « XP ». Peut-on parler de continuité, d’approfondissement, ou de nouvelles pistes dans votre technique de jeu et votre manière de composer aujourd’hui ?

Ma technique de jeu s’oriente vers davantage de sensations, elle est davantage ancrée dans une poétique que dans l’analytique. Les « XP » relèvent d’un travail de minimisation des informations qui sont contenues dans les rythmes, les couleurs, les sons et le système chromatique et modal. En fait, tous ces éléments, le modalisme, le chromatisme, la musique à pulsations régulières et les cycles sont soumis à un travail, un cheminement, jusqu’à trouver leur expression la plus simple possible. Aujourd’hui, je vais de plus en plus vers des modulations. Il y a toujours une base de formalisation, mais qui tend vers des espaces plus empathiques, où les choses se construisent avec la nécessité de se connecter de façon empathique avec les autres intervenants, même si on n’est pas dans de l’improvisation libre. L’empathie vient jouer un rôle plus fort dans la structuration des objets. C’est un travail en cours en ce moment, je ne l’ai pas complètement abordé, mais j’y viens doucement.

Magic Malik par Frank Bigotte

- Une grande part d’étrangeté mais aussi quelque chose de familier résonne dans votre musique. Pourrait-on percevoir un message, la retranscription d’un souffle, en lien avec le monde qui nous entoure ou le recevoir comme une invitation à l’abandon, l’émotion de savourer le moment présent ?

J’aime les antagonismes. La nature elle-même relève de ce principe, elle fonctionne car elle veut équilibrer les différences. Ce sont les différences, de températures, de masses, de genres, etc. qui créent une dynamique et qui créent de la vie. J’aime les éléments qui font naître des polarités et je fais en sorte que ma démarche formelle débouche sur quelque chose de complètement intuitif et qu’il n’y ait pas de redondances. Même si le système exige une structure très analytique, très intellectuelle pour le façonner, on ne doit pas être obligé de faire des calculs pour pouvoir faire une pièce.

Si le système a été façonné en vue d’objectifs abstraits, par exemple, quand on se dit « je vais minimiser l’information du système tonal », il faut trouver comment le faire et cela passe par l’analyse. Une fois que le matériel a été trouvé, il faut que cette utilisation puisse être intuitive. Cela ressemble à l’approche que l’on peut avoir vis-à-vis de l’interface d’un ordinateur. On est devant un écran et on ne se pose pas la question de tout ce qui se passe derrière. On ne doit pas écrire des lignes de code pour pouvoir écrire un poème, ou faire un dessin sur un ordinateur. Pour la musique, c’est la même chose. Si elle demande du formalisme dans la construction de ses outils, son langage façonné par l’intellect, il faut que son utilisation - composer un morceau ou improviser - puisse être intuitive.

Dans ce que je recherche, il y a forme de liberté, une acceptation de la liberté qui est assez grande. La contradiction est là : on a un système très formalisé qui permet d’aboutir à quelque chose qui ne l’est pas. Quand on délivre la musique de la Fanfare XP, on est dans une écoute mutuelle, on se met d’accord, on expérimente des outils de langage. Et ce qu’on reçoit peut être quelque chose de très libre, parfois très fouillis, parfois très désordonné. On recherche le free à travers des formes contraignantes. Cette confrontation des opposés crée du dynamisme, des élans de liberté vers l’ordre, et de l’ordre vers la liberté.

par Flora Vandenesch // Publié le 7 janvier 2018
P.-S. :

KRISHNA : Magic Malik, Fanfare XP, animé en peinture par Stéphane Cattaneo