Scènes

Marc Ducret Lady M : le lyrique est électrique

Lady M, le projet de Marc Ducret autour de Macbeth de Shakespeare en concert au Petit Faucheux le mardi 30 janvier.
Photo Laurent Poiget.


Le guitariste Marc Ducret propose une nouvelle partition en sextet complété de deux chanteurs lyriques et confirme la maîtrise totale de son langage, tant comme instrumentiste que comme compositeur de premier rang. Avec cette version de Macbeth, il signe une œuvre éminemment moderne, pleine, comme il se doit, de bruit et de fureur.

On pensait que la série des Tower (quatre volumes complétés par le magistral Tower-Bridge) constituait un sommet de l’œuvre de Marc Ducret, le Métatonal qui a suivi (également chez Ayler Records) renouant avec un propos plus coutumier de son travail. Il n’en est rien : si ce dernier disque était purement récréatif (moment de plaisir rock’n’roll dans lequel chaque interprète s’en donne à cœur joie), c’était certainement pour reprendre son souffle (celui du guitariste et celui de ses auditeurs) et préparer le projet qu’il nous a présenté au Petit Faucheux mardi 30 janvier.

On le sait depuis Le Sens de la marche au moins (voire depuis Qui Parle ?) : Ducret aime les formations élargies qui lui permettent de donner libre cours à sa science des arrangements. Se détachant des couleurs d’un jazz traditionnel comme de celles d’un rock issu des décennies passées, il pose avec aplomb une écriture syncrétique qui ne ressemble qu’à elle même et où, au delà des effets d’échos à d’autres compositeurs, on retrouve des caractéristiques compositionnelles qui recouvrent l’ensemble de son oeuvre. Energie, précision, complexité des phrases, effets de contraste, éclat des cellules timbrales et enchevêtrements rythmiques étant parmi les points immédiatement repérables.

Sextet Lady M de Marc Ducret, photo Laurent Poiget

Entouré de cinq musiciens qui ne faisaient pas partie jusqu’à présent du premier cercle dans ses travaux personnels (hormis Sylvain Bardiau, croisé avec Journal Intime dans Paysages, avec bruits, paru chez Abalone), il invite à une relecture quasi opératique de la pièce Macbeth de William Shakespeare. Prenant comme point de départ le monologue de Lady Macbeth à l’Acte V (“Yet there’s a spot”) qu’il confie à deux chanteurs lyriques (la soprano Marielou Jacquard et le contre-ténor Rodrigo Ferreira dont la présence scénique souple impressionne autant que sa voix puissante), Marc Ducret explore, en une heure et quart d’un seul tenant, un même corpus textuel. Le monologue, repris trois fois, passe au travers de prismes en variation ; des sens ambivalents en jaillissent et se résolvent dans le final.

Vêtus de tuniques noires qui évoquent les costumes médiévaux (voire renvoient au film Le Château de l’araignée, de Kurosawa, autre adaptation de la pièce), les musiciens en demi-cercle ouvrent le concert par un bruitisme discret qui plonge l’auditeur dans une atmosphère sombre. Succédant à la clarinette inquiétante de Catherine Delaunay, ils s’avancent alors dans un vaste chantier sonore et échafaudent une succession de tableaux. Les alliages de sonorités métalliques et tranchantes confèrent au propos une dimension implacable et tragique mais déchargée de toute emphase émotionnelle. Le délié profond de la contrebasse de Joachim Florent fait office de centre de gravité.

Inclus dans la dramaturgie générale, le spectateur assiste à des interventions flamboyantes de musiciens en solo qui renouvellent la dynamique narrative de l’ensemble (même si elles en rallongent la durée). Celles de Ducret, bien sûr, sur trois guitares différentes, façonnent une matière âpre tandis que le violon électrique de Régis Huby déploie un drapé ample au mitan de la pièce. Par opposition, les parties collectives, emportées par la frappe sèche de Sylvain Darrifourcq (plus rigoriste que celle d’Echampard), ouvrent les vannes à des torrents à fort débit qui charrient une multitude d’agencements noirs comme la nuit et lumineux comme la résolution d’une équation complexe.

Rodrigo Ferreira, photo Laurent Poiget

Lorsque les chanteurs entrent en scène, on craint un décalage trop flagrant entre deux esthétiques distinctes. Il n’en est rien pourtant. Leur présence permet l’incarnation du texte et ouvre de nouvelles profondeurs pour les sections instrumentales. L’écriture très contemporaine de Ducret fait le reste. On pense à Ligeti, Nono ou Eötvös plus qu’au Bel Canto italien. Leur chant en communion clôt la pièce, laissant l’auditeur dans une conclusion tragique suivie de bruits frottés ou frappés du guitariste et du batteur. Puis silence. Applaudissements de libération et d’enthousiasme.

Plusieurs écoutes seront nécessaires pour appréhender l’entièreté de cette œuvre (un disque sortira chez Ayler Records). En nous permettant d’assister à l’invention d’un style qui force les limites de l’ultra-modernité, elle marque, d’ores et déjà, un nouveau jalon dans le travail du guitariste qui atteint là une puissance réelle dans l’articulation entre une pensée et sa réalisation musicale.