Chronique

Marcin Masecki

Ragtime

Marcin Masecki (p), Jerzy Rogiewicz (dms)

Label / Distribution : BMC Records

C’est l’histoire d’une passion d’enfant. Quand il était petit, Marcin Masecki a vu, dans sa Pologne natale, un pianiste jouer du ragtime sur un piano droit et blanc et en resté ébahi, voulant « devenir lui » [1]. Voici donc, avec le jeune batteur Jerzy Rogiewicz son rêve exaucé. Ragtime, paru sur le label BMC n’est pourtant en rien un aboutissement ; juste une étape. Entre deux, il est devenu l’un des grands pianistes de son pays, à cheval entre le classique - Nocturnes de Chopin - et le jazz avec son sextet Profesjonaliszm dont le premier album s’appelle Chopin Chopin Chopin. On pourrait y voir une sorte d’obsession, d’autant que sur « Langsam » les notes s’étirent et rêvassent selon les habitudes nocturnes du romantique. Mais il y a aussi dans sa carrière du Bach joué au Wurlitzer et des aventures avec Ziv Ravitz lorsqu’il étudiait à Berklee.

Ragtime est un fantasme, et pas seulement pour le musicien qui semble absolument prendre plaisir à rattraper, voire doubler au cordeau la caisse claire de Rogiewickz sur « Why Why ». C’est un jeu à touche-touche, léger comme le vent, avec une main gauche des plus stables qui permet toutes sortes de cascades. Alors la musique voltige, musarde, vire de bord comme pour semer le batteur vigilant et lui aussi rigolard. Rogiewicz est extrêmement pertinent dans son rôle, avec son set de batterie réduit au plus simple. L’échange se poursuit sur « New York Baby » qui reprend tous les ingrédients d’une musique de film : petites accélérations saccadées, saynètes décalées et éléments perturbateurs qui viennent faire évoluer le scénario. Nous sommes dans une fiction, un exercice de style où les caractères sont appuyés sans virer au caricatural.

Ce n’est pas une revisite, puisque tous les morceaux sont des originaux écrits par le pianiste. C’est une déconstruction, une approche du ragtime par la modernité, voire par l’avant-garde, qui en conserverait les codes et le vocabulaire pour écrire tout à fait autre chose et se l’approprier. Il n’y a pas de nostalgie mal placée ou de raisins aigres dans la musique de ce duo, de la même façon qu’il n’y a pas de célébration d’un passé vertueux lorsque Masecki reprend des vieilles chansons des années 20 avec son orchestre Big Band Młynarski-Masecki dans une démarche qui rappelle un peu le travail du Umlaut Big Band. Cela ressemble davantage à un travestissement qui permet de jouer en toute liberté avec ce qu’il faut d’euphorie. Un jeu d’enfant qui s’amuserait avec un piano droit et blanc, une boucle conclue, en quelque sorte.

par Franpi Barriaux // Publié le 27 janvier 2019
P.-S. :

[1C’est ce qu’il explique dans les notes de pochette