Chronique

Marie Kruttli Trio

The Kind Of Happy One

Marie Kruttli (p), Lukas Traxel (b), Jonathan Barber (dm)

Label / Distribution : QFTF

Après le superbe Thé Camomille enregistré avec son quartet Clair Obscur, la pianiste suisse Marie Kruttli revient avec le non moins brillant The Kind of Happy One, enregistré avec son trio, qui vient de sortir chez QFTF. Le trio a quelque peu évolué depuis leur précédent album Running After Sun. En lieu et place de Martin Perret, on retrouve le batteur Jonathan Barber ; le fidèle Lukas Traxel, quant à lui, tient toujours la contrebasse avec style et autorité.

L’album débute avec « Back to Blue », sorte de déambulation joyeuse et bancale guidée par une contrebasse et une batterie des plus bondissantes, dans laquelle Kruttli s’égare dans un dédale harmonique fastueux.
Dans « Buried Giant », la pianiste alterne puissants accords à la main gauche et arpèges dentelés, instillant une tension sourde et sublime.
Sur le chaloupé « Lichthaus », c’est l’omniprésent Jonathan Barber qui, par son énergie et son sens du groove, emporte la musique dans un frivole tourbillon, Kruttli créant un contraste intéressant sur son piano en empruntant, par petites touches, les codes de la musique répétitive.
On retrouve la pianiste très en verve pour un très beau solo, volubile et habité, sur le bref mais très original morceau « L’Intrépide ».
Sur la grandiloquente ballade « Sad Song », le temps s’étire, la musique semble se dilater ; le trio installe un climat onirique entêtant qui ne vous lâche plus.
« The Kind of Happy One » est une composition échevelée dans laquelle le trio fait preuve d’une belle homogénéité et d’un swing à toute épreuve. Kruttli y va d’un solo fiévreux et élastique soutenu par la solide walking bass de Traxel et le jeu de cymbales affûté de Barber.
On poursuit avec la ballade lumineuse et presque anxiogène « I Hate to Be Taken as a Stupid Person » qui n’aurait rien à envier aux vénéneuses et lancinantes vocalises d’un groupe comme Radiohead.
L’album se termine sur « Poppy Seed », un morceau où la mélodie aux vagues accents orientaux semble se déliter au fur à mesure de l’écoute, monte en un crescendo extatique avant de s’immobiliser sur un climax définitif du plus bel effet.

Dotée d’une puissante main gauche, d’une main droite élastique et solaire, Marie Kruttli possède un jeu sec et nerveux, d’une grande puissance évocatrice. Ses compositions, basées sur de nombreux changements de rythme, sont franchement innovantes, à la fois pleines de fraîcheur et d’une grande profondeur ; les harmonies y sont lumineuses, gorgées de feeling, d’audace et de sensualité.

A côté des sirupeuses copies du mythique triangle piano/basse/batterie et autres pompeux power trio, Marie Kruttli affirme son originalité en réinventant l’art du trio et s’impose comme la nouvelle voix du piano jazz.