Chronique

Mario Stantchev & Lionel Martin

Jazz Before Jazz

Mario Stantchev, piano & Lionel Martin, sax

Label / Distribution : Cristal Records

Ils sont une poignée, mais avec une insatiable curiosité, ils ont défriché des territoires inconnus et – c’est le plus important – en ont rapporté les images, les goûts, les couleurs. Les collecteurs, les passeurs, ces musiciens, ces musicologues qui, pris d’une bougeotte sonore et d’une fringale auditive addictives sont partis écouter, enregistrer, relever, intégrer les musiques des autres. Bartok, Lomax, Gottschalk, Rouget [1]. Et aujourd’hui encore, c’est ce matériau qui sert de base, de fond de sauce à de nombreux projets transversaux.

Ici, le personnage haut en couleur de Louis Moreau Gottschalk est à l’honneur. Pianiste star du XIXe siècle, il parcourt le monde, fréquente les édiles, les têtes couronnées, les grands artistes (Chopin, Liszt, Berlioz, Gautier) mais s’intéresse de très près aux musiques qui sonnent dans sa ville natale, La Nouvelle Orléans, dans les quartiers populaires, à Congo Square. Précisément là où les graines de cet immense arbre des musiques noires ont été plantées. Jazz Before Jazz, certes. Faute d’en connaître la date de baptême, feignons d’y voir là un avant, une sorte de préhistoire. Qu’importe car, tout comme les peintures néolithiques peuvent rivaliser parfois avec les plus modernes représentations graphiques, les ingrédients encore folkloriques de ce proto-jazz écrit pimentent avec sobriété ce duo piano - saxophone.

Mario Stantchev est lui aussi un voyageur, parti de Sofia pour arriver en France, passant allègrement du piano classique au jazz, enseignant, musicien, il sait transmettre, intégrer et arranger. Lionel Martin présente les mêmes qualités musicales et pédagogiques. Leur proposition est une sorte d’uchronie, l’hypothèse d’un Louis Moreau Gottschalk comme premier pianiste de jazz. Les arrangements de ses pièces, romantisme mis à part, mettent en valeur leurs identités créoles (Etats du Sud, Amérique latine, Iles des Caraïbes), mais avec l’oreille de ceux qui ont écouté Coltrane, Monk ou Coleman. Des peintures néolithiques, mais à la bombe.

C’est ce qui rend cette musique intemporelle et attachante. Elle est tout aussi authentique, puisqu’elle est tout aussi mélangée que la matrice.
Jazz before Jazz, oui. Forever Jazz, assurément.

par Matthieu Jouan // Publié le 27 mars 2016
P.-S. :

Il faut saluer le travail de la graphiste Valentine Dupont qui réalise une très belle pochette « primitive moderne », dans l’esprit du disque et du projet uchronique. Une sorte de masque vaudou créole 2.0.
Cette pochette trouve toute sa force graphique dans l’édition vinyle du disque, produite par Ouch ! Records et qui sort conjointement, un bonheur pour les amateurs de galettes noires. Un retour vers le futur.

[1Gilbert Rouget va fêter ses 100 ans cette année !