Martial Solal

J’imagine la tête du voisin de Marial Solal, chaque matin, lorsque commencent les exercices quotidiens du pianiste. Des gammes, des arpèges, des divagations pour se faire les doigts… tous les jours depuis si longtemps. Et aucun morceau, aucune véritable mélodie. Toujours les mêmes foutus exercices !

Car les chansons, la musique, Martial Solal les joue ailleurs : en studio et en concert. Enfin, les jouait. Car le pianiste avait décidé de fermer son piano. La tête du voisin quand il apprendra que sous couvert de s’amuser, de jouer, le pianiste au sourire en coin vient d’enregistrer un dernier disque, pour la route.
Le dernier, promis, juré, disent-ils tous. Mais l’improvisation, comme le rappelle l’intéressé, c’est comme l’alcool ou le tabac, c’est une sorte de drogue. Et il faut en prendre quand on est en manque.
Alors, un dernier tour de piste ? L’avenir le dira.

En attendant, c’est comme un testament que nous laisse le musicien, en tirant au hasard parmi 52 petits papiers le sujet d’une improvisation au piano, après avoir expliqué pour qui et pourquoi il allait jouer. Ses enfants, sa femme, sa petite-fille… des musiciens, des paysages, des films, des images… c’est comme une cassette vidéo de la longue vie de Martial Solal qu’on rembobine en accéléré. Et, avec une voix posée et rabelaisienne, il annonce les petites bouchées qu’il confectionne instantanément, comme autant de pâtisseries sucrées.
Dix-neuf petites histoires, solaires et solaloïdes s’enchaînent comme les comptines pour enfants : des paroles, de la musique. Une sorte de « disque jeunesse », mais pour adultes.

Il reste d’ailleurs une trentaine de petits papiers avec des mots sur lesquels improviser encore, en studio, tandis que les exercices se feront à la maison, pour le voisin. Espérons que Solal, à l’instar des divas de variétés, enchaîne les tournées d’adieu et les sorties de scène : nous ne sommes pas pressés de l’entendre se taire.