Chronique

Mary Halvorson & Joe Morris

Traversing Orbits

Mary Halvorson (g), Joe Morris (g)

Label / Distribution : Rogue Art

Comment se détermine une vraie filiation, honnête, productive et heureuse ? Par l’altérité et la différenciation. Il ne fait nul mystère que Mary Halvorson doit tout autant à Anthony Braxton qu’à Joe Morris dans son éclosion musicale, et ce Traversing Orbits, première rencontre gravée des deux guitaristes, en est un exemple manifeste. Écoutons pour nous en convaincre « Silence Invasion », qui donne l’impression d’une impulsion avant un saut en chute libre : dans les multiples détours et les volte-faces des cordes, dans les chemins de traverses parallèles, on reconnaît immédiatement les gestes de chacun, même si les angles et attaques sont parfois similaires. Halvorson est plus aérienne, toujours à la limite ; Morris se passionne davantage pour la gravité et flirte avec le souterrain. L’ensemble est unique, la preuve ultime que les matières de provenance strictement extraterrestre n’existent pas.

C’est dans le central « Semaphore », long de plus de dix minutes, que la rencontre entre les musiciens est la plus intense. A mesure que le morceau avance, les partis pris s’effacent et laissent place à un langage qui devient autre chose que véhiculaire. Les deux improvisateurs se connaissent bien et trouvent un véritable terrain fusionnel, qui ne gomme pas les personnalités de chacun, puisqu’on se délecte des cataractes d’Halvorson, mais puise dans un savoir commun, qui s’approche en fin de morceau d’un dialogue marqué par la tradition, à défaut du classicisme. C’est une tendance qu’on retrouve çà et là dans un disque qui peut s’envisager comme une pièce unique, une causerie au long cours qui ne connaît pas de temps faible.

Le jeu de Mary Halvorson, imperceptiblement, est en train d’évoluer. Ces derniers mois, elle s’est attachée à privilégier les rencontres duelles, avec Robbie Lee ou Bill Frisell. Dans ce disque, elle abandonne son subtil jeu de pédale habituel pour se concentrer sur ses cordes, comme elle l’avait fait dans Seed Triangular. Il ne s’agit pas de s’affirmer - c’est fait depuis des années - mais de chercher à son tour une forme d’émancipation de son cadre habituel, et on a le sentiment, dans un morceau comme « In Other Terms », que Joe Morris assiste à cette transformation, à ce surplus de liberté avec un œil bienveillant, puisqu’il ne s’agit nullement de rupture. C’est sans doute le sujet du croisement de ces deux trajectoires à ce moment précis : se saluer chaleureusement avant de reprendre sa course vers ailleurs.