Chronique

Matteo Bortone

Travelers

Matteo Bortone (b), Antonin-Tri Hoang (as, bcl), Francesco Diodati (g, fx, elec), Guilhem Flouzat (dms)

Label / Distribution : Zone Di Musica

Né entre deux continents, le quartet du contrebassiste Matteo Bortone a avant tout grandi dans les couloirs du CNSM, où l’Italien a rencontré le multianchiste de l’ONJ version Yvinec, Antonin-Tri Hoang. Repéré au sein du groupe Oxyd dont il tient la basse électrique, mais aussi du trio d’Alessandro Lanzoni avec qui il remporta le prix du jeune soliste au Concours Martial Solal en 2010, Bortone réunit avec Travelers quatre voix prépondérantes de la jeune génération du jazz européen. A ses côtés, au sein d’une rythmique roborative qui ne s’interdit aucun chemin, fût-il binaire, le batteur Guilhem Flouzat, que l’influence de Jim Black ne laisse manifestement pas indifférent. Il est, tout comme le guitariste Francesco Diodati (très actif sur la scène transalpine), installé à New York. Cet écartèlement géographique, des Etats-Unis aux Pouilles, renforce l’identité nomade d’un orchestre au propos assez dense.

La plume agile de Bortone, démontre, dès « View From Abroad », un goût prononcé pour les mélodies simples et pénétrantes. On passera d’ailleurs sur la reprise du « Man Of The Hour » de Pearl Jam, qui démontre que l’orchestre s’exprime bien mieux dans son propre langage… La grande cohésion entre la musicalité de Bortone et la douceur anguleuse de Hoang est la clé d’une musique dont la complexité naît du lent développement du discours commun, cabossé par le son très travaillé de nappes de guitares. Les trames subtiles de Diodati font parfois songer à Ben Monder, notamment dans sa façon d’altérer les fragrances d’un simple soubresaut. Celles-ci savent être boisées lorsque la clarinette basse caresse les cymbales coloristes de Flouzat sur « Traveler », ou plus toniques sur « Bioritmi » quand contrebasse et guitare s’entrechoquent vivement dans une successions d’éclairs distillés par l’alto. Placé sous le signe du célèbre Caminante, no hay camino… d’Antonio Machado, Travelers voyage en liberté sans routes préconçues. Comme dans ce poème, il n’y a que les sillages dans la mer qui se referment derrière chaque bifurcation. C’est sur le bien nommé « No Hay Camino » que la mécanique est la mieux huilée, chaque soliste tendant vers l’échauffement de l’autre, sous la sèche férule de Flouzat.

Pas de leader désigné dans cet orchestre égalitaire où le jeu très rond de Bortone agit en éclaireur. Cependant, Antonin-Tri Hoang illumine tout l’album de ses fulgurances, qui infléchissent la direction proposée par le contrebassiste. Sur le remarquable « Halfway », justement situé au pivot de l’album, il n’a pas besoin de prendre le dessus : chacun érode tour à tour la masse orchestrale. Ses brisures tranchantes, sous-tendues par une passementerie subtile entre les flux acoustiques et l’électricité exacerbée de la guitare, engendrent le mouvement de ces voyageurs. Nul doute que leur chemin sera long et palpitant, et on aura le même plaisir à le re-croiser.