Chronique

Matthew Bourne

Moog Memory

Matthew Bourne (Moog)

Label / Distribution : Leaf Label

Matthew Bourne est un Britannique qui a plutôt l’aura d’un esprit frappeur quelque peu mystérieux. De ses collaborations avec Laurent Dehors ou John Zorn, on retient son goût pour les sons jusqu’aux plus étranges et la virtuosité sans fard, lesté d’un bagage classique revendiqué. Dans Chansons d’Amour avec Dehors, on avait pu remarquer sa passion pour l’image, omniprésente ici également. Comme nous l’a conté le Rouennais dans une interview avant Trio Grande, Bourne improvisait sur des extraits de films de la Nouvelle Vague, harmonisant littéralement les dialogues. Cet attrait pour les ambiances cinématographiques se confirmait dans son premier album solo, Montauk Variations, où chaque titre était dédié à une amitié, à un instant, à une réminiscence. Un climat solaire et plein de spleen. L’image sonore, le négatif du film muet en quelque sorte est donc l’univers de Matthew Bourne ; une démarche commune à ses participations aux aventures électroniques d’Amon Tobin.

C’est du côté des synthétiseurs et autres oscillateurs que l’on retrouve le musicien, toujours en solo. On peut trouver ça étonnant, mais lorsque on est happé par les sons arides et sinueux de « Alex », on découvre que ce biotope est le sien, comme il fut celui de Paul Bley, auquel Bourne doit énormément. On ne sait quel souvenir sombre nimbe ce morceau, mais il s’inscrit dans une suite de portraits et de confessions intimes absolument magnétique. Troublant, lorsque les saccades électriques de « Sam », dérangeantes par leur vélocité, embrument la mélodie pleine de brisures du clavier vintage auquel Bourne rend parfaitement hommage. Car Moog Memory n’est pas qu’un recueil mémoriel. C’est aussi un clin d’œil au Memory Moog utilisé ici, clavier de la prestigieuse compagnie créé en 1982 qui a obtenu au fil des ans son statut de légende.

Avec « Horn & Vellum », profond et alcalin, le jeu de Bourne fait songer aux expériences de Jozef Dumoulin au Fender Rhodes. Mais ici, le Moog n’a pas besoin de savants montages de pédales d’effet. Les capacités polyphoniques du synthé au grain imparfait suffisent à faire convoquer le Merveilleux et rappeler que c’est sur le Moog qu’a été composé « Pop Corn », hymne synthétique qui a notamment inspiré Aphex Twin, dont l’ombre rode ici ou là. Pour en revenir au cinéma, le scénario imaginé par Matthew Bourne au long de cet album évoque la dramaturgie onirique de Eternal Sunshine Of A Spotless Mind de Spike Jonze. Sans doute ce sentiment d’une sérénité qui s’effiloche concomitamment à la mémoire et qui s’épanche dans la longue improvisation finale « I Love Her, Madly ». Cet objet inattendu est une excellente surprise.