Chronique

Meadow

Blissful Ignorance

Tore Brunborg (ts, ss), John Taylor (p), Thomas Strønen (dms)

Label / Distribution : Edition Records

Sous les doigts de John Taylor, les notes prennent l’aspect du cristal. Il y a dans son toucher, dans sa sonorité personnelle, quelque chose de transparent. Une fluidité, une pureté qui évoque l’eau claire, les miroitements de la lumière diffractée qui la traverse. La singularité de son esthétique est renforcée par ses choix. On l’entend souvent avec des musiciens qui, comme lui, tirent leur musique vers l’épure pour se créer un espace où ils projettent leur son - notamment John Surman, Kenny Wheeler, Jan Garbarek ou Norma Winstone. Il est un des acteurs de ce jazz froid dont ECM ou la vivace scène scandinave sont des axes majeurs. D’ailleurs, il a régulièrement figuré sur des productions du label munichois, et on n’est pas surpris de le retrouver ici entouré de deux Norvégiens, Tore Brunborg et Thomas Strønen, eux-mêmes artisans d’une musique dépouillée à la sonorité étale. Le son du saxophoniste, perçant dans les aigus, a beaucoup de grain dans les graves. Il est métallique, et le souffle en fait partie intégrante. Que l’on apprécie ou pas cette signature sonore, on ne peut que s’incliner devant sa belle maîtrise du phrasé et de l’expressivité. Il en va de même pour le batteur, profondément narratif grâce à sa musicalité et à un drum-set judicieusement choisi : cymbales ride à longue résonance, clochettes, toms soigneusement accordés…

On peut regretter l’aspect parfois trop lisse du son d’ensemble (dû à une réverbe un peu poussive, notamment sur le saxophone). Mais il serait dommage de ne pas s’abandonner à cette musique construite patiemment, dans le souci du détail. En y étant attentif, on finit par avoir l’impression de se promener dans des cathédrales de glace. Les unissons de Taylor et Strønen pendant le chorus du pianiste sur « Meadow », la fragilité du propos, presque effacé sur « Reven », le chorus inspiré de Brunborg sur « Will », le fin tressage des trois contributions sur « Blissful Ignorance », le raffinement des ponctuations du batteur sur « Kirstis Tarer » ou sa délicate introduction à « Tunn Is » sont comme autant d’instants de grâce.

S’il faut une raison supplémentaire pour prendre le temps d’écouter ce beau disque, on citera sans hésiter un petit joyau : « Amentia », court duo de John Taylor et Thomas Strønen, au cours duquel chacun fait preuve d’une sensibilité et d’un sens de l’écoute remarquables.