Scènes

Melosolex + Cannibales & Vahinés

Le Pannonica continue son travail autour des musiques improvisées sans frontière en invitant deux projets inclassables.


Le Pannonica continue son travail autour des musiques improvisées sans frontière, en invitant deux projets inclassables : Melosolex, dernière émanation de la Compagnie des Musiques à Ouïr, et Cannibales & Vahinés, trio toulousain à la croisée des chemins.

Denis Charolles est de retour sur des terres qu’il a fréquentées régulièrement ces deux dernières années, au cours d’une résidence dans les Pays de la Loire [1].

Pour ce concert au Pannonica, Charolles s’est entouré du fidèle Fred Gastard (saxophones, électroniques) et de Vincent Peirani à l’accordéon et à la voix. Melosolex se présente comme un groupe de « free musette », une définition qui semble bien restrictive après coup ! Pourquoi pas « free musette mais pas que » ? Tout d’abord, de par l’éclectisme du répertoire visité : le « Quatuor n°8 » de Chostakovitch, arrangé par Frédéric Gastard et délicieusement joué par le trio, le « Manneken Pis » de Loïc Lantoine dit par Denis Charolles, un tango délirant, une salsa damnée ou encore une reprise valsée d’une Edith Piaf déjantée (« La foule [2] »), etc. Ensuite parce que Melosolex, ce sont trois instrumentistes dont la maîtrise technique ouvre toutes les portes, permet tous les délires : de la musette, oui, mais totalement allumé, du free, bien sûr, mais empli d’humour, du jazz, of course ! Et pas n’importe quel jazz : sur-vitaminé, nourri à la surprise, n’ayant pas peur de fricoter avec ses petits frères et sœurs - valse, rock et autres musiques populaires…

Denis Charolles © H. Collon/Vues sur Scènes

On retrouve dans ce Melosolex tout ce qui fait le charme des projets de Charolles : l’ouverture, l’humour, la spontanéité, la surprise. Charolles est un excellent batteur et un excellent musicien. Mais il sait aussi et surtout parfaitement s’entourer. Sa Little Big Compagnie est une sorte de laboratoire de la jeunesse au pouvoir, au sein duquel Frédéric Gastard ne passe pas inaperçu : auteur de certains des arrangements et compositions les plus intéressants, multi-instrumentiste impressionnant, sautant du sax soprano au sax basse, jonglant entre le ténor et l’électronique, Gastard est du genre compagnon de route idéal. A leur côté, Vincent Peirani pourrait passer inaperçu mais il n’en est rien : d’abord parce qu’il les domine d’une bonne tête, ensuite parce que son accordéon trouve magnifiquement sa place dans les musiques du duo Charolles / Gastard. Sa vélocité, son imagination ne sont jamais prises en défaut. Il est le parfait comparse des sax de Gastard, tous deux alternant lignes mélodiques et accompagnements, délires et embardées.

Fred Gastard © P. Audoux/Vues sur Scènes

Une heure et demie durant, Charolles, Peirani et Gastard nous montrent joyeusement tout ce qu’il est possible de jouer avec des sax, un accordéon et une batterie améliorée. La musique de Melosolex n’a peur de rien, sauf de l’ennui.

Pour la seconde partie, Melosolex laisse place aux Cannibales & Vahinés. Malgré une arrivée tardive due à des problèmes de transport, le temps d’installer guitares, batterie et électronique le trio toulousain présente une musique qui a pour point commun avec celle du trio précédent d’être aussi curieuse d’horizons originaux. Toutefois, la comparaison s’arrête là. Ces cannibales et ces vahinés suggèrent en effet des paysages bien différents de ceux traversés en Melosolex : les samples et l’électronique de Marc Démereau ouvrent le concert, mêlant son quasi aquatique, voix en boucle, allant jusqu’au cris de douleur. Fabien Duscombs improvise à la batterie, s’installe sur le travail de Démereau, bientôt rejoint par la guitare de Nicolas Lafourest. L’ambiance est électrique, les samples et la guitare laissent une grande liberté à Duscombs pour multiplier les pistes rythmiques, les couleurs, les frappes. Il passe des balais aux baguettes, puis empoigne toutes sortes de percussions, se démenant comme un beau diable derrière ses fûts. De son côté, Lafourest fait penser à un Bertrand Cantat tombé dans le free-rock ; il crée un matelas rythmique sur lequel Duscombs et Démereau peuvent prendre appui. Les nappes de guitare sont par moments prises de soubresauts, de déferlements bruitistes, ces ponctuations nourrissant le cycle tension / détente qui fonde la musique. Démereau empoigne ses sax : au baryton, il fait preuve d’une puissance et d’une agilité surprenante. Son jeu est quasi rock, basé sur des riffs qu’il répète longuement, en y incorporant régulièrement des inflexions et autres effets de becs. Au soprano, il se fait free, éructe, danse. Après une crise paroxystique, la musique s’étire, s’alanguit, devient presque éthérée. Démereau retourne à l’électronique, Lafourest reprend son balancement… et Duscombs (et le public) son souffle !

Cannibales & Vahinés © M. Laborde/Vues sur Scènes

La puissance de ce trio, les couleurs originales et l’ambiance générale de cette musique sont une vraie réussite. Malgré quelques longueurs et une certaine monochromie, la musique de Cannibales & Vahinés a pour elle l’originalité et une puissance de propos intéressante. Expressionniste, elle a des choses à raconter. Un free-rock qui mérite qu’on s’y attarde.

par Julien Gros-Burdet // Publié le 24 novembre 2008

[1marquée notamment cet été par ses deux concerts avec la Little Big Compagnie des Musiques à Ouïr, à Saint Herblain d’abord, lors de Soleils Bleus, puis à Nantes lors des Rendez-Vous de l’Erdre

[2(1958) Titre original : Que nadie sepa mi sufrir / Amor de mis amores (1953) ; Musique : Angel Cabral (Argentine)