Chronique

Michael Formanek Elusion Quartet

Time Like This

Michael Formanek (b), Kris Davis (p), Tony Malby (ts, ss), Ches Smith (dms)

Label / Distribution : Intakt Records

Après avoir expérimenté l’infiniment grand avec son Ensemble Kolossus, tant en nombre, en taille qu’en volume, le new-yorkais Michael Formanek s’essaie à l’infiniment petit avec son Elusion Quartet. Peut être même au-delà du microscope, vers l’insaisissable. Ne croyez pas que les trois compagnons du contrebassiste habitué de Mary Halvorson ou Tom Rainey soient particulièrement menus : dans l’inaugural, « Down 8 to 5 », du piano sporadique de Kris Davis aux trouvailles percussives de Ches Smith, nous avons plutôt à faire à des titans ! Quant à Tony Malaby, vieux camarade de Formanek, il est davantage un accélérateur de particules qu’un simple atome. Son jeu d’équilibriste, tout en slaps et en acrobaties sur « The Soul Goodbye » en témoigne, notamment lorsqu’il se frotte à une ligne de basse sèche et tendue jusqu’à l’enflammer, avec un enthousiasme débordant et spontané.

La sensation d’infime vient de la précaution avec laquelle contrebasse, piano et percussions échangent entre eux. Ches Smith notamment, qui délaisse parfois la batterie pour le vibraphone, offrant une gamme de couleurs que Formanek peut utiliser en palette, très complémentaire des camaïeux de Kris Davis. Sur l’intense « Culture of None », l’échange permanent entre les cymbales et une main droite veloutée sur les franges les plus aiguës du piano incite à un mouvement qui fait son miel de l’instabilité, d’autant que le ténor de Malaby ne tient pas non plus en place ; si l’atmosphère générale de Time Like This est souvent très chambriste, les implosions irrégulières d’enthousiasme maintiennent le quartet dans une ébullition permanente, joyeuse et raffinée.

Avec une discrétion devenue presque une signature, Michael Formanek s’impose comme l’un des jazzmen les plus intéressants outre-Atlantique. Il avait déjà marqué les esprits avec Kolossus, mais l’intensité de ses compositions en quartet est troublante. « A Fine Mess » notamment est une merveille d’échange où chacun trouve sa voi(e)x avec une grande douceur. La délicatesse de Kris Davis souligne sans martèlement le lyrisme de Malaby, pendant que la batterie et la contrebasse se livrent à un travail de structuration souterraine avec beaucoup de malice. Voici l’infiniment petit de Time Like This : on songe à ces plantes qui grandissent en time-lapse, qui fleurissent et donnent la vie en quelques dixièmes, aussi vite qu’elles peuvent flétrir. Une magnifique exploration de l’espace, du temps et de la matière concoctée avec un naturel désarmant et de la générosité.