Chronique

Michel Edelin & Jérôme Bourdellon

Peninsula

Michel Edelin (fl), Jérôme Bourdellon (fl)

Label / Distribution : Label Usine

L’infatigable flûtiste Michel Edelin n’a pas fini de se faire le héraut de son instrument, sous toutes ses formes et configurations. Quelques mois après avoir réuni la crème des flûtistes de jazz et de la musique improvisée dans un magnifique Kalamania sur le label Rogue Art, le voici qui revient en duo proposer Peninsula avec son pair Jérôme Bourdellon, notable absent du Flûte Fever Orchestra.

Construite dans l’esprit et les mots du Bateau Ivre de Rimbaud, la rencontre entre Edelin et son cadet n’a rien d’une séance de rattrapage : ils se connaissent depuis trop longtemps. Il s’agit plutôt d’un exercice de communion et de dialogue. Un sommet des soufflants qui s’installe dans la douceur de « Péninsule ». Dans ce morceau-titre, Bourdellon et Edelin s’arment de flûtes identiques et de canaux différents pour mieux jouer de masques et de courants contraires. Dans une atmosphère à la fois légère et pesante, à l’image du poème, les souffles exhalent des parfums d’Orient (« Azurs Verts » où l’on jurerait entendre l’appel d’un muezzin dans le growl de la flûte basse) et caressent des velours épais et – forcément - infusés d’astres (« Bleuités » où l’on entend un bansuri). Baudelaire doit croiser Rimbaud, fugacement.

Les habitués des musiques, Jérôme Bourdellon, qu’on a déjà pu entendre avec Jean-Luc Cappozzo, est un utilisateur forcené des tuyaux les plus profondément enfouis dans les basses. C’est surtout un constructeur méticuleux qui offre à son compagnon toutes les échappatoires possibles. Ici, il fait merveille à la tonitruante octobasse sur « Poissons d’or », à la limite de la saturation lorsqu’il faut courir après le vif-argent guilleret de son comparse. C’est à la fois l’imprévisibilité joyeusement insubordonnée et sa confrontation avec l’inéluctabilité des cycles naturels qui sont convoquées ici. Dans l’interstice entre les deux, sur de petites péninsules luxuriantes, se cache la poésie à fleur de peau du duo. Le plaisir de l’écoute consiste à les dénicher et à s’y installer paisiblement… baignés dans le poème.