Chronique

Michel Godard

Monteverdi - A Trace Of Grace

Michel Godard (serpent, b), Guillemette Laurens (voc), Gavino Murgia (saxes, voc), Fanny Paccoud (vln), Bruno Helstroffer (théorbe), Steve Swallow (b)

Label / Distribution : Carpe diem

Habitué à évoluer entre musiques anciennes et jazz, le tubiste et serpentiste Michel Godard a toujours suivi dans ses albums en leader le chemin des accords subtils entre ces deux racines. C’est communément sur le terrain de l’improvisation qu’il les fait discourir. Avec Monteverdi A Trace of Grace, il s’empare de la musique du maître de chapelle vénitien avec la fougue adolescente des passionnés. Dès le plus jeune âge, Godard a été durablement marqué par l’opéra Le couronnement de Poppée, comme par la place historique qu’occupe Monteverdi entre renaissance et baroque. Ainsi, « Pur ti Miro », qui ouvre l’album sur le finale du dernier opéra de Monteverdi, est un dialogue serein entre le théorbe de Bruno Helstroffer et la basse élégante de Steve Swallow. Cet étonnant duo va devenir la base rythmique du disque. C’est un plaisir autant qu’un étonnement de voir ici le compagnon de route de Giuffre ou de Carla Bley appliquer les délices de la basse continue avec une évidente jubilation…

Entre respect et création, Godard a choisi des compagnons de longue date qui ne cherchent plus a transcender ou à rapprocher les univers. Ils se parlent d’un monde à la fois lointain et si proche, en totale harmonie. Très vite, on oublie l’opposition factice entre baroque primitif et jazz, pour dénicher de nouveaux contrastes où le violon aventureux de Fanny Paccoud opère souvent la symbiose entre les mondes (le très beau « Prelude in F », au pivot de l’album). Mais c’est sur un « Doppo il tormento » célébrant la finesse d’écriture de Swallow lorsqu’il s’inspire des harmonies de Monteverdi, qu’on découvre la complicité constructive entre le serpent baroque et le saxophone de Gavino Murgia.

Dans ce sextet, Murgia a une place à part. Au-delà de son instrument, il assure avec la remarquable Guillemette Laurens la partie vocale. Si cette spécialiste reconnue de Monteverdi chante les morceaux tirés de l’œuvre du maître (le remarquable « Zefiro torna » tiré de ses Madrigaux), le saxophoniste use de son timbre prodigieux pour ancrer sa présence tellurique. Sa technique vocale prend ses racines dans les chants traditionnels sardes ; son caverneux chant de gorge donne à « L’Abbesse » un côté païen qui emplit le lieu choisi par Godard pour enregistrer cette musique toute de magie et d’étrangeté.

L’histoire musicale de Monteverdi, de Mantoue à Venise, est indissolublement liée aux vieilles pierres baptisées. C’est dans le cadre chargé d’histoire de l’Abbaye de Noirlac [1], où l’orchestre avait trouvé résidence, que le tubiste a décidé de rendre hommage à celui qui a donné ses lettres de noblesses à la musique sacrée. Depuis Castel Del Monte, enregistré lui aussi dans un lieu de mémoire, on savait d’ailleurs Michel Godard influencé par les lieux et leur spatialisation. Dans « Si Dolce è il tormento », certainement l’un des morceaux les plus poignants de l’album, la voix de Laurens semble happer l’espace et s’enrouler dans les circonvolutions du serpent. Monteverdi A Trace Of Grace est un album lumineux et intemporel qui trouve un équilibre dénué de toute démonstration.