Chronique

Michel Lambert

Alom Mola

Label / Distribution : Jazz From Rant

Avec son Journal des Épisodes en plusieurs tomes, le percussionniste canadien Michel Lambert avait exposé une facette de son univers musical moins visible lorsqu’il forme un duo avec le contrebassiste François Carrier. Globe-Trotter des scènes improvisées, créateur de l’instant en compagnie d’Alexei Lapin ou Steve Beresford, rares sont les occasions qu’il nous offre de saluer son sens remarquable de l’arrangement et de la composition écrite. Fugacement, les miniatures quotidiennes le laissait transparaître. Mais il fallait plus de temps, sortir de l’exercice de style pour que le propos gagne en consistance. Alom Mola, son nouvel album à orchestre variable, remplit à merveille ces conditions. Il laisse toute latitude au batteur pour approfondir ses idées, mais conserve la qualité première des épisodes : une capacité incroyable à raconter des histoires, à les contextualiser et à les mettre en mouvement.

« Cahiers de Barcelone » est un croquis entre bribes de souvenirs, carillon tintinnabulant de la Sagrada Familia et douceur de vivre, incarnée par un sextuor à cordes servi par une belle partition. Chaque morceau est construit en divers mouvements, qui se nourrissent mutuellement ; quand Lambert se substitue aux cordes, ne gardant que la contrebasse profonde de Pierre Côté, il ombre un trait jusque là très léger. Il devient même charbonneux au moment où s’ajoute l’étonnant Maïkotron de Michel Côté, lutherie démoniaque d’instruments assemblés. Voilà qui donne du relief à un carnet de voyage imaginaire, dont on tourne les pages avidement. Puis nous quittons Barcelone, vers un rêve susurré par Jeannette Lambert, accompagné par le pianiste Alexandre Grogg, déjà présent sur le Journal des Épisodes. Le climat est différent, plus impressionniste et pastel. Cela pourrait ressembler à un cabinet de curiosités, mais c’est au contraire la cohérence qui prédomine.

Car si l’on peut dire du batteur qu’il est un excellent coloriste, ce n’est pour une fois pas seulement métaphorique. Dans le livret du disque, on admire des partitions dessinées pour chaque morceau où les crayons de couleurs offrent de belles fenêtres lumineuses sur la musique. Ainsi, « Caravaggio ténèbres et lumières » est une galerie de portraits où l’on plonge dans un univers incertain où il y a une franche opposition entre l’obscurité et des lumières plus crues. Des différences qui s’atténuent, s’accordent même parfois quelques instants pour mieux rompre au coup d’après. L’ensemble de Alom Mola est bâti sur cette dichotomie, sur une franche ligne de partage qui tend pourtant vers une certaine symétrie, à l’instar du visage, comme le titre palindrome de l’album le suggère. Michel Lambert livre ici un disque troublant et personnel. On s’y attache très vite, comme un bon roman.

par Franpi Barriaux // Publié le 8 mai 2017
P.-S. :

Michel Lambert (dms, perc, Maikotron, comp,), Pierre-Yves Martel, Nicolas Lessard, Pierre Côté (b), Michel Côté (cl, as, ts, maikotron), Geneviève Liboiron, Alexander Lozowsky (vln), Jennifer Thiessen (vla), Alexandre Grogg (p), Jeannette Lambert (voc)