Chronique

Michel Portal Unit

Châteauvallon : 23 août 1972

Michel Portal (ss, as, cl taragot, bcl, bcb-cl), Bernard Vitet (tp, cor), Léon Franchioli, Beb Guerin (b), Pierre Favre (d, perc), Tamia (voc)

Label / Distribution : Universal

C’est avec ce concert vite devenu mythique que Michel Portal a créé le lien puissant qui le relie encore aujourd’hui au public et à la scène. Ce jour-là, on s’est mis à baser sur lui des espérances folles, au point que le musicien basque a longtemps craint de rester à jamais dans les mémoires comme l’acteur de cet événement incroyable, à Châteauvallon, le 23 août 1972.
Presque quadragénaire, il possède alors un solide bagage en musique classique et contemporaine, à quoi s’ajoute le free jazz pratiqué au côté de François Tusques, Alan Silva, Sunny Murray, Joachim Kühn etc. Un an plus tôt, Splendid Yzlment allumait les premiers feux d’un nouveau folklore qui allait se cristalliser en ce soir d’été.
Car il s’agit aussi de cela - affirmer une indépendance vis-à-vis du Jazz américain (même si Portal et Vitet glissent un hommage à Ayler) et, à tort ou à raison, poser l’acte fondateur du « jazz européen ».
En tout cas, on n’oublie pas le choc ressenti à l’écoute de cette musique - juste un moment, à peine 50 minutes pendant lesquelles les artistes ont failli se consumer entièrement pour avoir voulu toucher du doigt la beauté, l’enlacer amoureusement. Agiter les esprits. Crier.
Il n’y eut pas de rappel à Châteauvallon, et cela se comprend aisément.

Elle est là cette tension inouïe, palpable dès le premier coup d’archet, tenace et tenue jusqu’au bout. Dans les longs unissons de saxophone, de trompette, de voix qui, bientôt, s’agitent nerveusement, se répondent sur un ostinato de basse obsédant. On la retrouve plus loin : elle se cogne au mur de l’amphithéâtre, soufflée par Portal, scandée par Favre et son attirail de percussions.
Le décor était décidément parfait pour cette dramaturgie bouillonnante.
Deuxième acte, toujours cette tension qui ne lâche pas sa proie. Portal ôte les deux clarinettes de sa bouche. L’instant devient grave, cérémoniel, quasiment sacré, ou sacrificiel. La marche est lentement martelée, assombrie par la clarinette contrebasse.
« Encore », gémit Portal, juste avant que n’éclate, que ne s’éjacule tout ce qui s’était concentré jusque-là. Tout donne alors le tournis, gonfle immodérément, jusqu’à ce nouveau cri de Portal, comme si tous venaient d’atteindre une vérité, celle de l’instant.

Il faut encore imaginer le théâtre, la nuit, les spectateurs médusés, quand sont lancés les cris déchirant de Tamia, qui achèvent le concert.

Et l’on se demande si tout cela fut rêve ou réalité…