Chronique

Michel Pulh

Au Fil du Jazz : Bourgogne, 1945-1980

Dimanche 27 octobre 1946 à 11h, à la Brasserie du Miroir (1er étage) de Dijon se tint « la réunion de tous les amateurs de musique de jazz ». Ordre du jour : fondation du Hot Club Dijonnais. Quinze jours plus tard, ce dernier démarre : tous les lundis à partir de 20h30, « audition de disques commentés » ; le deuxième vendredi de chaque mois, « conférence du président ».

Michel Puhl a réalisé pour Au fil du Jazz – Bourgogne, 1945-1980, épais ouvrage retraçant l’essor du jazz dans cette région au lendemain de la guerre, un travail de fourmi. Dense. Précis. (Un brin austère mais comment faire autrement ?) La tâche n’avait rien de simple : d’abord en raison de son sujet même, ce « jazz » dont on cherche alors les contours et les couleurs, mais surtout à cause du cadre : de Dijon à Nevers, d’Auxerre à Mâcon, la Bourgogne n’est pas « une », comme on le pense souvent, mais un ensemble écartelé où le Morvan joue un rôle primordial qui accentue les distances.

Qu’importe : patiemment, Puhl dresse sa chronologie - événements, concerts, lieux, hommes et anecdotes -, faisant ici œuvre d’historien. Archives, presse de l’époque, témoignages, documents d’époque, photos… il a patiemment rassemblé ou consulté tout ce qui a été écrit dans ce domaine durant toutes ces années. D’un entrefilet du Bien Public (Dijon) au compte rendu de concert élogieux retrouvé dans le Courrier de Saône-et-Loire (Châlon), il compile, analyse, examine, restitue les mots et les enthousiasmes. Bref, il témoigne de la lente arrivée du jazz dans une région française au lendemain de la guerre. En cela, Au Fil du Jazz tient d’ailleurs beaucoup de l’étude ou de la thèse.

Afin de ne rien omettre, l’auteur a attentivement scruté les chroniques « Jazz » des journaux régionaux, souvent tenues par des confrères éclairés, (Louis Chevalier et Robert Pannier à l’Yonne Républicaine, René Bougros au Courrier de Saône et Loire, etc.). Claude Bolling en 1948 à Dijon, les Jazz Attractions de Mister Alix en novembre 1946 pour une soirée nivernaise, Martial Solal et Daniel Humair à Auxerre en 1963… Les comptes rendus traduisent l’enthousiasme suscité par ces découvertes, mais permettent aussi de comprendre les liens étroits unissant aujourd’hui encore les musiciens qui ont partagé ces petites galères.

Michel Pulh revient surtout sur le rôle des JMF (Jeunesses Musicales de France) fondées en novembre 1944, dont les concerts font souvent office de détonateur dans telle ou telle ville, où des « délégations » voient ensuite le jour. Ce faisant se dénouent peu à peu les fils de l’histoire, d’autant plus complexe que chaque ville a son récit, ses anecdotes. Ainsi Mâcon, limite méridionale de la région, a été dès le départ sous influence lyonnaise. Dès le 19 février 1948 y est par exemple créé un Hot Club pratiquement sur le modèle du Hot Club de Lyon.

D’ailleurs, pour la jam session de lancement, c’est le saxophoniste Raoul Bruckert, un des principaux fondateurs du Hot Club de Lyon, qui vient porter la bonne parole. Au passage, Puhl publie des dizaines de documents : affiches d’annonces, photos de concerts (parfois extraites des quotidiens de l’époque)… Au passage encore, il explique que cette musique fut parfois mal accueillie. Place aux textes, aux réactions, aux « mots » de l’époque qui reflètent ou traduisent cette incompréhension. Un exemple : ces « bruits les plus désagréables depuis la création »…

Inévitablement, l’ouvrage se referme avec « À l’Ouest de la Grosne » et Jacky Barbier, un bistrot de village (Bresse-sur-Grosne) devenu temple du jazz le plus contemporain à partir de 1976, presque jusqu’en 2002, année de la disparition du maître des lieux. Mais on sort déjà du périmètre de l’étude.