Chronique

Mike Westbrook Orchestra

Catania

Label / Distribution : Autoproduction

« C’est le plus beau cadeau qu’un compositeur puisse recevoir », déclare Mike Westbrook, aussitôt traduit en italien, ce soir de juillet 1992 en Sicile après trois jours du festival de Catane où il était l’invité d’honneur. Le moins que l’on puisse ajouter, c’est qu’il est gentil de le partager avec l’auditeur. Après plusieurs sorties récentes en solo et quelques hommages, le compositeur et pianiste anglais regarde dans le rétroviseur pour nous proposer un véritable chaînon manquant dans sa discographie. Catania expose en un double disque l’un de ses orchestres, le Mike Westbrook Orchesta (MWO), des plus prestigieux. On y trouve les fidèles Kate Westbrook, Phil Minton ou Chris Biscoe, mais aussi Dominique Pifarély, qui était déjà dans l’orchestre pour le magnifique On Duke’s Birthday en 1984. C’est d’ailleurs avec l’un de ses hymnes (« IDMAT », ou It Don’t Mean A Thing...) que l’orchestre brille de mille feux et offre au chef d’orchestre une palette remarquable : le vibraphoniste Anthony Kerr, le contrebassiste Steve Berry et le batteur Peter Fairclough permettent de pénétrer dans le cœur profond de la musique d’Ellington.

Ellingtonien, Westbrook l’est absolument, nous le savons. « Lush Life » est l’occasion de voir un bel échange entre Kate Westbrook et Phil Minton avec une douceur décharnée dans le souffle scorié de Chris Biscoe et le violoncelle de Frank Schnaefer. C’est la magie de ce live, pétri de confiance et de liberté, d’offrir moult approches complémentaires aux allures de feu d’artifice. Toutes les figures qui comptent y passent, de Brecht (« Alabamasong » et ses allures de bastringue d’outre-tombe) à Garcia Lorca dont le texte « Leñador » constitue le sommet de ce concert. Plus loin, Westbrook se livre même à une étude, au sens musical du terme, qui offre l’occasion de comprendre sa façon de concevoir le bebop, de le transcender et même de se renouveler, en le mélangeant au Barbier de Séville de Rossini. « Factotum al Bebop » est un jeu, une partie de dix minutes ou tout peut arriver, surtout l’inattendu, de l’alto d’Alan Barnes au trombone du regretté Danilo Terenzi. Le MWO s’amuse incontestablement, joue davantage en liberté que dans The Orchestra of Smith Academy, enregistré quelques semaines plus tard, et qui constituait jusqu’ici le seul témoin live de cette période. C’est l’été, et « South of Toulouse » ou brille Pifarély est là pour nous le rappeler ; il y avait à Catane ce soir là une douceur sans pareille.

Il n’est pas surprenant que Catania reprenne avec jubilation des morceaux de The Cortege, considéré comme la pépite du MWO. Ce live est à ce niveau : l’énergie qui circule entre les musiciens est communicative, et c’est une joie de découvrir des bandes d’une telle qualité plus de 25 ans après les faits. Intéressant également d’entendre « View From The Drawbridge » dans une version grand format après l’avoir apprécié dans un récent solo. Le morceau, malgré les tutti de cuivres et la tonalité martiale de la batterie, garde sa patine nostalgique et sa légèreté aérienne. C’est le génie des arrangements de Mike Westbrook qui parvient toujours, et totalement, à nous charmer.

par Franpi Barriaux // Publié le 12 mai 2019
P.-S. :

Mike Westbrook (p, comp, dir), Kate Westbrook, Phil Minton (voc), Chris Biscoe, Alan Barnes, Pete Whyman, Chris Caldwell (saxes), Karen Street (ts, acc), Graham Russell, Dave Plews, Noel Langley, James McMillan (tp), Danilo Terenzi, Paul Nieman, Adrian Lane, Tracy Holloway (tb), Andy Grappy (tu), Dominique Pifarély (vln), Frank Schaefer (cello), Pete Saberton (p), Anthony Kerr (vib), Steve Berry (b), Peter Fairclough (dms, perc)