Scènes

MilesDavisQuintet ! : du son plein les yeux.

« Watchin » with MilesDavisQuintet ! le vendredi 9 décembre 2016 au Pannonica.


Photo Michael Parque.

Faux quintet mais vrai trio, la formation dirigée par le batteur Sylvain Darrifourcq se produisait en quartet au Pannonica. De quoi donner le tournis à tous les matheux de la terre. D’autant plus qu’à la musique s’ajoutait une dimension visuelle qui n’aidait pas à éclaircir l’affaire : « Watching » with MilesDavisQuintet !, ou comment tenter l’art total dans un format de poche en sollicitant les oreilles et les yeux.

Une des meilleurs surprises de l’année 2015 continue sa mue sur les scènes qui l’accueillent et s’essaie à renouveler le propos gravé sur disque (BeCoq, 2015). Réunissant le batteur Sylvain Darrifourcq, le violoncelliste Valentin Ceccaldi et le pianiste Xavier Camarasa, ce trio n’a rien à voir avec la musique du trompettiste dont elle se réclame. S’élevant même contre une forme de jazz qui n’a de valeur aujourd’hui que muséale, il s’évertue à en prendre l’absolu contre-pied.

Pas de thème, aucun solo, encore moins la hiérarchisation traditionnelle qui prévaut à ce type de formation (piano sur le haut du podium, basse et batterie sur la deuxième et troisième marche), MilesDavisQuintet ! est une mécanique pure. Alimentée des percussions incessantes et sèches d’une batterie complétée par des pédales d’effet, démultipliée par les heurts métronomiques d’un archet sur le manche du violoncelle (ponctués parfois de notes sourdes) et les cordes griffées par un pianiste constamment penché dans le ventre du monstre, cela donne, sur la petite scène du Pannonica, quelque chose d’obsessionnel et abstrait. D’autant plus que les musiciens sont plongés dans le noir.

Derrière eux, sur un écran, un rectangle blanc rappelle les premiers programmes d’ordinateur des années 80. Il clignote et parfois se déplace. Sur ces points uniques longuement répétés et que rien ne semble détourner de ce droit chemin, le public n’envisage aucun but : on écoute et on attend. Bien malgré soi, des phénomènes d’écho sont toutefois perceptibles. Des cellules et des strates voulues par les musiciens s’accumulent, à partir desquelles tout cerveau normalement algébrique construit ses propres superpositions. L’écran se charge de clignements. L’œil, accaparé par ces mouvements minimalistes, s’approprie l’attention et libère l’oreille. Ou inversement. Plongé dans un état incertain mais fascinant, on bouge irrépressiblement la tête.

Sylvain Darrifourcq, photo Michael Parque.

Car la musique ne cesse de gonfler, les musiciens ne sont plus que le vecteur d’un son brut. Sans chercher les effets faciles, rejetant même des formules rythmiques trop évidentes, les voilà prêts, après cette longue préparation, à passer au niveau supérieur. Ils accélèrent violemment. Des accords plaqués ponctuent alors le chaos et les martèlements libèrent une énergie exutoire tandis que la lumière crue et épileptique découpe des silhouettes désarticulées.

Manipulées live, les manettes sont tenues par Jean-Pascal Retel, vidéaste du Tricollectif et quatrième membre de ce trio. Il se plie à la partition musicale et participe, avec ses compagnons, à clouer sur son fauteuil un public aux pupilles dilatées, les tympans vibrant comme une feuille au vent. Et si dans une troisième partie, l’espace tient une plus large part et permet de descendre calmement vers une sortie plus aérienne, après ce si fantastique voyage on reste néanmoins un peu frustré de ne pas être allé un tout petit peu plus loin. À flirter avec le vertige des sens, on aurait eu envie de sauter dans l’abîme.