Chronique

Mirror to Machaut

Samuel Blaser

Samuel Blaser (tb), Russ Lossing (p, cla), Joachim Badenhorst (cl, bcl, ts), Drew Gress (b), Gerry Hemingway (dms)

Label / Distribution : Songlines

Considéré comme l’un des meilleurs trombonistes de sa génération, Samuel Blaser mène de front plusieurs formations aux esthétiques différentes. Chez Hat-Hut, en compagnie de Marc Ducret, il propose des disques très ouverts, enregistrés live et plutôt radicaux dans leur forme. Avec A Mirror to Machaut, il prolonge un travail amorcé avec sa formation Consort In Motion sur les musiques de compositeurs européens de la Renaissance ou, comme c’est le cas ici, du Moyen Âge tardif.

Le disque est signé chez les Canadiens de Songlines, ce qui n’est pas anecdotique. Il est produit par Benoît Delbecq, familier du label. On retrouve les sonorités claires, précises, fines et bien équilibrées qu’on pouvait apprécier sur les disques Phonetics et Pursuit. Mirror to Machaut est une adaptation, un jeu en forme d’hommage des musiques de Guillaume de Machaut (1300-1377), compositeur charnière dans l’histoire de la musique occidentale. Les artistes chevronnés et impliqués dont Samuel Blaser s’entoure ici développent leur propos avec intelligence : chacun apporte à l’édifice une de ces pierres qui font les cathédrales. S’appuyant sur les partitions d’origine, ils les réinterprètent, se les ré-approprient et leur donnent un son actuel, qui mêle sensualité et sentiment de plénitude à l’austérité de la musique médiévale.

Gerry Hemingway, qui succède à Paul Motian, apporte une rythmique décalée et abstraite tandis que Drew Gress fait de sa basse un pilier, un lien entre passé et présent, particulièrement sur « Dame, se vous m’estes lointenne », où elle résonne comme un instrument ancien. Le pianiste Russ Lossing, lui, introduit des respirations par de subtiles ornementations et un beau sens de l’espace. Les timbres des soufflants, enfin, se complètent et donnent de la chaleur à l’ensemble. Leur jeu tout en retenue et en raffinement emporte leurs prises de parole dans de sobres envolées.

Cette musique multiséculaire qui, revitalisée par un vocabulaire et une syntaxe contemporains, invente une nouvelle forme d’harmonie, élégante et expressive, nous ramène à un Moyen Âge murmuré, sans doute fantasmé, dont son caractère intimiste nous rapproche.