Chronique

Mohamed Abozekry & Heejaz Extended

Ring Road

Mohamed Abozekry (oud), Hugo Reydet (b), Anne-Laure Bourget (perc), Ludovic Yapaudjian (p), Benoît Baud (ss)

Label / Distribution : Jazz Village

Mohamed Abozekry, oudiste égyptien d’à peine vingt-quatre ans, est installé en France depuis quelques années. Après avoir étudié l’art et la maîtrise de son instrument au Caire, il arrive en effet à Lyon en 2009 pour étudier la musicologie ; la même année, il est sacré « Meilleur Joueur de Oud du Monde ». C’est une distinction bien curieuse pour un musicien ; il y a certes l’aspect technique (et Abozekry n’a plus rien à prouver dans ce domaine), mais pourrait-on vraiment élire le meilleur artiste du monde ? Quoi qu’il en soit, ce prodige nous offre ici une œuvre d’une grande maturité, dans laquelle il exprime toute sa sensibilité en y mêlant ses propres cultures.

L’album s’ouvre sur le oud, seul. Il plante en quelques notes un décor qui respire toutes les épices de l’Egypte. On met quelques instants à prendre conscience qu’un piano se cache derrière : les timbres se marient, se confondent, et à mesure que l’harmonie progresse, l’empreinte de l’Orient se marie peu à peu à celle du jazz modal. Les deux instruments prennent petit à petit leurs distances, jusqu’à la mise en place chaloupée de la contrebasse et des percussions. L’entrée étincelante du sax, ainsi servie sur un plateau, nous fait voir la scène sous une toute autre lumière. Tout à coup, transition brutale, la balade vaporeuse et enivrante laisse place à une course effrénée et haletante dans les rues du Caire. C’est vif, rythmé et nerveux pour changer nettement d’atmosphère, puis arrive l’ostinato qui soutiendra le solo de oud : la transe, véritablement.

Les morceaux sont longs et progressifs, et on voyage d’un univers à l’autre sans toujours savoir à quel moment on a franchi la frontière. On chemine, puis on revient au point de départ. C’est ce que Mohamed Abozekry dit de Ring Road ; il ne revient jamais en arrière, mais sa route, circulaire, le ramène toujours à son point de départ, le cercle s’élargissant avec les années et l’expérience.

Anne-Laure Bourget, à ses côtés depuis longtemps, a un toucher qui lui permet de swinguer, de groover avec un accent égyptien. Hugo Reydet à la contrebasse, Ludovic Yapoudjian au piano et Benoît Baud au saxophone, eux, appartiennent plutôt à la culture jazz. Avec le Heejaz Extended, ils parlent arabe, ils parlent jazz, ils parlent latino (réminiscences d’une tournée marquante en Amérique du Sud). Souvent on identifie la démarcation entre les styles, et parfois le métissage est complet. Comme deux familles d’origines distinctes qui dialogueraient tantôt dans la langue de l’une, tantôt dans celle de l’autre, tantôt en mélangeant les deux pour les faire chanter davantage.