Mopcut

L’album commence dans une électronique acide et enchevêtrée, où des bruits de gorge, étrangeté purement organique, se disputent avec le flux tendu d’une électricité contondante, rêche, déstabilisante mais étonnamment peu agressive. Comme si le mouvement, la friction était une fin en soi, un mode d’expression fait de ruptures et d’accélérations instables. « Frictious Forces », le premier morceau d’Accelerated Frames of Reference, donne le ton et permet de mesurer les forces en présence ; plus tard, dans « 11660th Second », alors que la batterie très expressive de Lukas König se mesure aux performances vocales d’Audrey Chen, on retrouve cette même capacité d’entropie. Bienvenue dans l’univers de Mopcut, un trio unique qui réunit trois musiciens radicaux. On connaît Julien Desprez et sa capacité à conférer à chaque atome de son instrument un espace sensible, fût-il dans le châssis de la guitare  ; ses compagnons subliment ses habituels partis pris.

La rencontre avec Audrey Chen était inéluctable, et offre une nouvelle facette de la relation du guitariste avec la voix. Dans « Friction Coefficient » - encore une histoire de frottement, de fibres abandonnées sur une surface étrangère - les cordes englobent les psalmodies singulières de la jeune Étasunienne. C’est un vecteur de chaos : on ne sera pas surpris d’apprendre qu’elle a déjà enregistré un capiteux disque avec Phil Minton dont l’approche n’est pas différente. C’est le son qui meut Chen, peu importe s’il paraît incongru. Au-delà, tant mieux s’il s’amalgame sans trembler à la touffeur électronique de l’ensemble (« Hail Shaft »). König quant à lui pourrait paraître en retrait, c’est au contraire un indispensable liant. C’est d’ailleurs lui qui habite le plus cette musique qui lui est familière, puisqu’elle s’apparente à celle de son orchestre 5K HD mené avec le trompettiste Martin Eberle et la chanteuse Mari Lu Kovacs.

Paru sur le label autrichien Trost Records, Accelerated Frames of Reference est un album radical qui sait bien, comme toutes les fleurs vénéneuses, se parer d’un parfum entêtant. L’auditeur oscille entre le tressaillement et la sidération, notamment lorsque l’atmosphère se précipite dans une tout autre pulsion. Ce qui impressionne dans la performance de ces solistes - notamment Chen et Desprez qui ont livré chacun des œuvres solo particulièrement réfléchies et hors des sentiers battus - c’est cette aisance à renverser la table sans virulence, avec le calme des certitudes. À faire tourner longtemps sur la platine pour s’offrir le luxe de se laisser envahir.