Chronique

Morgen Naughties

Where Are We Going ?

Tam de Villiers (g), Sylvaine Hélary (fl), Karsten Hochapfel (g, cello)

Label / Distribution : Cordes et Ames

Il ne faut guère de temps, à l’écoute du premier album du trio Morgen Naughties pour comprendre qu’il s’agit avant tout d’une affaire d’amitié. D’une complicité légère qui accélère les particules de la musique, entre les flûtes de Sylvaine Hélary et les deux guitares, même quand celle de Karsten Hochapfel se transforme en violoncelle, comme pour mieux souligner l’amalgame de timbres qui le lie à la flûtiste. On avait découvert en vidéo le morceau « Soup » en avant-première. Le reste de Where Are We Going ?, sorti sur le label Cordes et Âmes, est du même acabit : il développe une atmosphère follement charnelle qui n’a rien de « dématérialisé », malgré l’absence (temporaire ?) de support physique.

Cette rencontre est à la fois vive et pleine de poésie. A la question posée par le titre de l’album, ces voyageurs sans frontières rattachés à Paris et rassemblés autour du guitariste britannique Tam de Villiers décident de répondre évasivement : ils baguenaudent sans but affirmé, nez au vent, au gré des contrées et des genres. Dans cette errance tranquille, on croit parfois surprendre des fragrances de l’École de Canterbury (« Infinity Fragment »), mais au cœur de cette musique résolument chambriste, on passe surtout de reflets baroques en brisures contemporaines, avec beaucoup de fluidité. Les trois musiciens jouent d’un folklore imaginaire connu d’eux seuls qui s’impose par sa douceur (« Orange frelatée »). Sous le charme, on voyage le cœur léger en leur compagnie, porté par un discours contrapuntique finement ourlé dont la flûte est le centre physique. Ainsi, dans « Morse Code Fantaisie », c’est Sylvaine Hélary qui équilibre la discussion entre les deux guitares et permet la constante évolution d’un discours faussement désinvolte dont le naturel n’entame pas la complexité.

On se souvient que dans l’octet Das Röte Grass, Hochapfel et Hélary se plaisaient déjà à déconcerter Bach pour l’inscrire dans d’autres perspectives plus primesautières. On est ici dans une démarche semblable, qui n’a pas abandonné sa part d’enfance. Un morceau comme « As Above, So Below », où l’ostinato sec érafle la fusion de la flûte et de l’archet du violoncelle, pourrait évoquer un propos plus sombre, plus grave ; il n’en est rien. En sautillant sans précaution sur la crête étroite reliant le baroque, le jazz ou la musique contemporaine, les trois Morgen Naughties ne craignent pas la chute. La précision et la légèreté de leur musique ne font que confirmer les propos de Nietzsche : « La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant ».