Chronique

Nels Cline

Lovers

Label / Distribution : Blue Note

Blue Note aujourd’hui n’a objectivement plus grand-chose à voir avec le mythe des années 50 et 60.
Pour autant, sous la marque dont on se demande si elle a maintenant d’autres prétentions que d’être une vitrine chic, peuvent, à côté d’un tout-venant revêtu d’atours clinquants, sortir de pures merveilles dont ce Lovers admirable.

Pourtant le clinquant, justement, guette. Il serait tentant de ne voir qu’épate dans ce casting impressionnant (Yuka C Honda, Zeena Parkins, Steven Bernstein, Erik Friedlander par exemple), de ceux qu’on trouve chez Tzadik quand tout le carnet d’adresses de John Zorn vient festoyer autour d’une grande affiche. Mais ici, ce qui tient lieu de grande affiche ce sont les thèmes et leurs auteurs, de parfaits classiques pour la plupart, polis par le temps, dont on a extrait des perles qui, pour ne pas être les plus connues, n’en sont pas pour autant parmi les moins belles.

Le seul nom de Nels Cline s’arroge le plus gros de la pochette mais, si celui-ci portait cet ambitieux projet depuis plus de vingt ans, sous le cœur poignardé aux allures de vieux tatouage de marin du 19e siècle, se trouve en plus petit le nom de celui qu’on pourrait presque considérer comme le co-auteur de l’album : le trompettiste – entre autres – Michael Leonhart, ici chef d’orchestre mais surtout arrangeur, proche des cimes sur lesquelles règnent Oliver Nelson, Quincy Jones ou Nelson Riddle.
À s’inscrire dans une telle lignée on se préoccupe généralement assez peu d’arborer les signes extérieurs d’une quelconque modernité, bien que celle-ci perce par endroits par bouts de bruitisme bien tempérés qui n’altèrent en rien la beauté sans âge de l’affaire.
Les morceaux signés d’auteurs plus récents (le groupe à guitares saturées Sonic Youth, l’amateur de bossa oblique passé par le bruit blanc Arto Lindsay) semblant s’inscrire tout naturellement dans les beautés de toute éternité.

Nels Cline, qui, dans la diversité de ses aventures musicales, du jazz au rock indé, fut surtout loué pour sa virtuosité ou ses expérimentations sonores, impressionne ici davantage par sa retenue et par une infinie tendresse, malgré quelques coups de griffe espièglement placés. Le jeu, d’une fluidité toute liquide, entre dans la masse et en rapport avec ses compères instrumentistes dans un jeu de mise en valeur réciproque.
Double album, pour que la profusion rajoute des délices aux délices, tant dans la valeur d’ensemble, qui impressionne de maîtrise dès sa première écoute, que dans les détails parsemés permettant à la richesse musicale de s’ouvrir en permanence vers d’autres richesses.

par Aymeric Morillon // Publié le 22 janvier 2017
P.-S. :

Nels Cline (g, effets électroniques) ; Devin Hoff (b) ; Michael Leonhart (tp, bugle, cymbalon, celeste, lead, arr) ; Alex Cline (dm, percussions) ; Steven Bernstein (tb, bugle alto horn) ; Taylor Haskins (tp, bugle, valve trombone) ; Alan Ferber (tb, bass trombone) ; Charles Pillow - (fl, bfl, oboe, cor, as, cl) ; J. D. Parran (fl, bfl, Bb cl, bs, bsax) ; Ben Goldberg (cl, bcl) ; Douglas Wieselman (cl, bcl, ts) ; Gavin Templeton (bcl, as) ; Sara Schoenbeck (basson) ; Julian Lage (g) ; Kenny Wollesen (vb, marimba, perc) ; Zeena Parkins (harpe) ; Yuka Honda (celesta, synth) ; Antoine Silverman (vln) ; Jeff Gauthier (vln) ; Amy Kimball (alto, vln) ; Stephanie Griffin (alto) ; Erik Friedlander (cello) ; Maggie Parkins (cello)