Scènes

No Tongues s’engage sur l’Oyapock

No Tongues, restitution de résidence à Nantes.


Photo : Michael Parque

Ce concert est, en réalité, le compte rendu d’une expérience des limites. Lauréate de Jazz Migration 2018, la formation No Tongues a présenté l’année dernière un disque fort, le très original Les Voies du Monde, adaptation réussie du disque de collectage Les Voix du Monde, une anthologie vocale parue chez Le Chant du Monde. Décidés à poursuivre l’aventure un peu plus loin, les quatre musiciens sont partis l’été dernier pour un périple sur les rives du fleuve Oyapock. Ils proposent au public qui remplit la salle Paul Fort à Nantes ce qui constitue leur nouveau répertoire : la transcription musicale de ce moment hors de notre monde.

Un carnet de leur voyage a été publié dans Citizen Jazz l’année dernière. Trois semaines durant, les quatre membres de No Tongues ont transporté leurs instruments sur l’Oyapock, le fleuve qui fait frontière entre le Brésil et la Guyane française. Les déplacements se font principalement en pirogue : défi de taille donc pour ce quartet qui compte deux contrebasses, celles de Ronan Courty et de Ronan Prual, complétées par la trompette plus maniable d’Alan Regardin et la clarinette basse de Matthieu Prual.

Ce dernier est au micro. Il nous raconte en quelques mots le projet, les parcours, les rencontres. Rien d’envahissant dans son discours même si on sent l’envie d’en dire beaucoup. Les masques qui ornent la couverture de leur disque trônent au fond de la scène et ajoutent un surplus tribal à ce concert qui nous conduira loin de nos fauteuils.

Dans le prolongement du répertoire précédent, la musique est resserrée et fait la part belle au son de groupe. Privilégiant le grain des instruments principalement dans les parties profondes, elle creuse plus loin dans l’intimité de la terre à la recherche d’une parole archaïque et universelle.

Pas de world music en effet dans le propos mais plutôt la mise en mouvement d’une matière primitive qui s’appuie sur la puissance des cordes. Placées sur le devant du plateau, frottées ou heurtées, elles se répondent ou jouent en contre, l’une face à l’autre, et sont les pilastres de cette scène originelle. Pleinement concentré pour Ronan Prual, plus louvoyant pour Ronan Courty qui dérègle souvent la masse en remous par des brisures rocailleuses, ils assurent un balancement qui s’élève avec vigueur pour pousser mieux avant les parties hautes.

Alan Regardin, photo Michael Parque

Au centre et en arrière, la trompette et le saxophone évoluent conjointement. Les énoncés rudimentaires produisent le maximum d’effets avec le minimum de moyens sans s’égarer dans un verbiage inutile qui ferait de l’écriture un prétexte. Pas de solo, pas de variation, il s’agit de rester au plus près de l’os ou de la chair en jouant sur les contrastes tranchants entre les différents tableaux. Parfois, des voix enregistrées, captées là-bas, s’ajoutent au son d’ensemble. Langues gutturales et étrangères qui ont traversé l’Océan, elles sont les messages portés à nos oreilles occidentales par nos lointains semblables qui sont aussi nos contemporains. La musique comme conciliation de l’humaine condition entre des mondes différents.

Portés par la scène nationale du Lieu Unique, le Pannonica et les Productions du Mouflon, ce programme donnera lieu à une tournée durant ce semestre. Le groupe envisage également un retour en Guyane en 2020. A suivre.