Chronique

Nobu Stowe - Lee Pembleton Project

Hommage an Klaus Kinski

Nobu Stowe (p), Lee Pembleton (son), Perry Robinson (cl, ocarina), Blaise Siwula (ts, cl), John McLellan (dm), Ross Bonadonna (bcl, as, g)

Label / Distribution : BMI

Rendre hommage à un Klaus Kinski c’est s’aventurer en démesure musicale. Sinon rien. Au risque d’une folie donc, le pianiste japonais Nobuyoshi Suto, installé aux Etats-Unis – se lance ici dans une totale improvisation avec sa bande de comparses dont l’électro allumé Lee Pembleton, sculpteur de sons, et des musiciens ardents aux anches, cordes et peaux. La catégorie annoncée précise « free jazz, avant-garde » ou à la rigueur post-bop. C’est juste mais insuffisant, à l’image de ces lignes, là où l’écoute s’impose – comme toujours en musique, dira-t-on ; mais là sans barguigner.

Prévoir le dérangement personel, et peut-être celui des voisins. C’est rapport à l’audace du propos, indicible d’ailleurs – je ne pourrai jamais que tenter une déclinaison lettreuse. Ou allégorique. Tiens oui, tentons le rapprochement ciné, après tout, comme le voudrait feu l’acteur illuminé et fétiche de Werner Herzog, celui de Fitzcarraldo et d’Aguirre, la colère de dieu. Des images sonores hallucinées, des nappes de bruissements et de sons exotiques, une jungle sombre avec ses trouées de lumière… Cette musique surpasse les genres, dédaigne les ornières, fait voyager jusque dans nos profondeurs – la basse électronique rôde comme aux coins de nos bois intimes, puis surgissent les aigus des oiseaux du temps profond. Peine perdue que d’écrire-décrire…

Nobu Stowe s’est noyé dans la potion musicale dès l’âge de trois ans ; biture de Keith Jarrett, Bill Evans et Cecil Taylor pour l’impro élevée en art majeur – sans oublier Monk, dont il nous offre aussi un lumineux « Round Midnight » ; plongée universitaire aussi, section psy, recherche sur les drogues et les médocs (pas les bordeaux). Ce type doit donc être assez dingue pour oser ainsi le jazz, oser le provoquer, le convoquer, l’équivoquer. Ça ne l’empêche pas, bien au contraire, de causer avec Jarrett, Michel Legrand, Gary Peacock, Bill Frisell, Marilyn Crispell, Martial Solal – on imagine d’ici les propos échangés, on entend les sons à l’horizon des possibles infinis. Cette musique est venue des étoiles, et nous en offre les secrets.

Gérard Ponthieu