Chronique

ODIL

Réson

Camille-Alban Spreng (p, Rhodes, synth), Geoffrey Fiorèse (p, Rhodes, synth), Tom Bourgeois (as, ss, bcl), Sam Comerford (ts, bs), Paul Berne (dm) + Leïla Martial (voc), Valentin Ceccaldi (cello)

Label / Distribution : QFTF

Quatre lettres. O. D. I. L. Pour les fans invétérés (dont je suis) de La Cité de la peur [1], cette énumération de lettres renvoie au fameux message d’Emile, le tueur, amoureux fou depuis sa jeunesse d’Odile Deray, attaché de presse d’un nanar de série Z baptisé Red is Dead, présenté au festival de Cannes. « Oui je sais, c’est un peu décousu mais, moi, je retranscris ça pêle-mêle aussi. »

Pour le pianiste et compositeur suisse Camille-Alban Spreng, ODIL est le nom du groupe qu’il forme avec Geoffrey Fiorese, Sam Comerford, Tom Bourgeois et Paul Berne, soit une orchestration originale comprenant deux pianistes, deux saxophonistes et un batteur. Leur premier album intitulé Something était paru chez les Allemands de QFTF en 2016. Réson, leur second, est sorti à la fin de l’année dernière sur le même label.

La musique d’ODIL ne se raconte pas : elle se vit, s’expérimente. Sur des formats relativement ramassés, la musique progresse grâce à un savant jeu d’équilibre/rupture. Virage à gauche, virage à droite, marche arrière. Juxtaposition, superposition de langages, collage d’éléments disparates. Le confort n’est jamais de mise. Avec beaucoup de malice, ODIL brouille les pistes, passant allègrement d’un riff tendu et répétitif à des fulgurances free, des moments bruitistes ou des tourneries proches de la transe. C’est ce mélange des genres qui fait le charme de cet album tout en révélant une grande maîtrise collective et un sens de l’humour certain.

L’utilisation, tantôt conjointe, tantôt séparée, de toutes sortes de claviers (piano, Rhodes, synthétiseurs divers et variés) par Geoffrey Fiorese et Camille-Alban Spreng, leur complémentarité autant que leurs dissemblances sont à la base de l’écriture d’ODIL. Les saxophones, tantôt rugueux et volubiles, tantôt graciles et aériens des deux soufflants se faufilent avec beaucoup d’aplomb dans les interstices de la musique. Quant au drumming de Paul Berne, il soutient le tout sans faillir, dégageant une force tranquille déroutante au vu de la complexité de la musique.

La présence conjointe de Valentin Ceccaldi et Leila Martial sur quatre titres apporte un réel supplément d’âme à l’ensemble, comme dans les deux magnifiques chansons [2] qui ouvrent et referment l’album. La voix éthérée de Martial et le vibrionnant violoncelle de Ceccaldi emplissent l’espace et semblent suspendre le temps.

par Julien Aunos // Publié le 28 avril 2019
P.-S. :

[1Film culte réalisé en 1994 par Alain Berberian sur un scénario des Nuls.

[2Que l’on doit à la guitariste et chanteuse suisse Franziska Staubli.