Chronique

Olivier Bogé

Expanded Places

Olivier Bogé (p, g, Fender Rhodes, as, voc), Nicolas Moreaux (b), Karl Jannuska (dms) + Guillaume Bégni (cor), Manon Ponsot (cello).

Label / Distribution : Naive

Depuis son premier album, Imaginary Traveler, la musique d’Olivier Bogé a toujours revêtu un caractère paisible, avec une narration tranquille qui amène facilement, lorsqu’on cherche à la décrire par les mots, à utiliser le terme de paysage. C’est en effet ce qu’elle évoque. Voire, pour être plus précis, le défilement de paysages. Le voyage, non par le déracinement mais par le mouvement. Jusqu’ici, même s’il nous avait donné par le biais de son précédent disque et des concerts qui l’ont suivi un aperçu de son talent de pianiste – pianiste de formation, c’est d’ailleurs sur cet instrument, ou sur la guitare, qu’il compose –, il s’est tenu au rôle de saxophoniste. Peut-être cette posture était-elle un peu restrictive pour les images qu’il avait l’intention de mettre en son. Il y a comme une implacable logique à le voir aujourd’hui superposer pour ses Expanded Places des parties de piano, de guitare, de Fender Rhodes, des mélodies jouées au saxophone, des voix oniriques. Pour qui sait lire entre les lignes, c’était écrit. Il s’agit plus d’un prolongement que d’un changement radical.

En dépit du travail de mise en place qu’implique nécessairement la multiplication de prises à superposer, il a veillé à conserver la profondeur qu’induit l’interaction, en s’entourant de deux complices, Nicolas Moreaux et Karl Jannuska, qui lui apportent un soutien parfaitement équilibré, entre la montée en puissance que l’échange fait nécessairement naître et la plénitude à laquelle ces promenades appellent. D’où un assemblage parfait entre la musique écrite, réfléchie, produite, et la force d’un propos entretenu à trois. Ce parti-pris, outre qu’il est à l’origine d’un son et d’une énergie très personnels, permet justement d’associer le paysage, composé, et le mouvement, joué dans l’instant. Une cinématique qui, paradoxalement, entretient l’attention autant qu’elle favorise la flânerie. On s’immerge dans ce disque avant de s’y perdre, comme le regard se fixe sur un panorama magnifique avant que l’esprit ne s’en échappe.

S’il fallait associer cette musique à un champ esthétique, c’est du côté du Fellowship Band de Brian Blade ou de Jeremy Udden (que Nicolas Moreaux accompagne également) qu’il faudrait aller chercher. On pense également à James Farm, un peu, à ceci près qu’Olivier Bogé reste centré sur une narration globale, les solos étant ici rares. Ce travail esthétique l’a amené à adjoindre occasionnellement au « trio » le cor de Guillaume Bégni et le violoncelle de Manon Ponsot pour enrichir la palette orchestrale. Durant ces périples plus ou moins empressés, l’emballement vient autant des superpositions de strates sonores que des montées en puissance de la section rythmique. Sous les afflux d’énergie et de couleurs, les morceaux s’envolent, se chargent d’émotions.

Expanded Places est un disque qui se vit. Il prend tout son sens quand on parvient à s’en détacher, qu’il devient la bande son de nos errances rêveuses. L’écoute concentrée se révèle passionnante, mais presque hors sujet. Toute la magie de ces pièces vient justement de la manière qu’ont les mélodies et orchestrations de s’immiscer en nous, de nous inviter à l’évasion, de la provoquer. On revient à ce disque comme sur un sentier qui ne nous aurait pas encore dévoilé toutes ses beautés. Invariablement, l’air y est frais et la lumière inédite ; chaque passage devient une somme d’apaisement et de surprise.