Chronique

Orchestre National de Jazz

Claude Barthélémy 89-91

Label / Distribution : Abeille Musique

La nomination du guitariste Claude Barthélémy à la tête de l’Orchestre National de Jazz à l’automne 1989, après un mandat d’Antoine Hervé qui s’était terminé dans les célébrations du Bicentenaire de la Révolution française, sentait la poudre - celle où fomentent, justement, les révolutions. Retour sur cette mandature grâce à la ressortie dématérialisée proposée par la plate-forme de téléchargement Qobuz.

Après un lancement en fanfare, c’est le trublion Barthélémy, le seul à avoir – officiellement - dirigé un ONJ deux fois à des années de distance, qui emmène la formation vers l’âge de raison. Le changement s’établit pourtant en douceur. Certes, on sent dans le propos de nouveaux partis-pris : là où les deux premières formules s’ouvraient ostensiblement à l’héritage d’outre-Atlantique, cet ONJ s’intéresse davantage à l’Europe et ses traditions écrites - sans pour autant s’éloigner de l’esthétique jazz-rock et d’une énergie pleine de funk. La présence de musiciens comme Renaud Garcia-Fons à la contrebasse ou Michael Riessler au saxophone alto et aux clarinettes montre bien qu’on se tourne désormais vers de nouveaux horizons mâtinés de sud (« Un Momentito ! ») ou d’abstractions contemporaines saupoudrées de Balkans (« MIB »).
 
La musique du guitariste est foisonnante, très écrite, parfois complexe (cf « So Wie est Klingt », sur Claire, où l’on entend un solo d’Yves Favre, tromboniste venu du classique [1]). Elle travaille sur la densité de l’orchestre sans jamais perdre de vue la dimension soliste, dans un esprit chambriste revendiqué par son directeur. La distribution, enfin, sort de l’ordinaire, avec un soin particulier apporté aux vents. Le très beau « 42 blagues métaphysiques », également sur Claire, met en valeur cette configuration particulière. Au milieu des cinq instruments à cordes (trois guitares et deux basses), deux trompettes, deux trombones et deux saxophones altos soulignent l’absence remarquée de sax ténor. Et le tuba de Michel Godard donne à cet orchestre très concertant un piment supplémentaire.

Nous sommes alors à cheval entre les années 80 et 90, et la musique de Barthélémy témoigne de cette transition. Débarrassée des scories de synthétiseurs, elle ménage moins de place que ses prédécesseurs aux standards et au répertoire ; on peut y voir comme une affirmation du nouveau statut de l’orchestre même si l’on trouve sur Claire des reprises d’Hermeto Pascoal (« Nem Um Talvez », encore très 80…), d’Henri Texier et de Wayne Shorter…

Même brouillon, ce premier album expose une volonté de faire de l’ONJ un orchestre accessible qui ne sacrifie pas pour autant à la simplicité. Ainsi, à côté de « Paradis avec remorque » qui ouvre l’album sur un ton très contemporain donné par le piano de Mico Nissim, on trouve un blues électrique, « Yves Klein », né de la guitare de Barthélémy. De même, les invités sur scène vont du bluesman Luther Allison au compositeur contemporain Vinko Globokar… Quant au second album, Jack-Line, qui s’ouvre sur une reprise de Sonny Rollins, « Airegin » [2], il s’avère dense et cohérent, d’ores et déjà de plain-pied dans une décennie qui permettra toutes les hybridations.

Longtemps cet orchestre a suscité une certaine défiance quant à sa composition même. Face à l’accordéon de Jean-Louis Matinier, notamment, on a pu crier à la tentation « franchouillarde », alors même qu’un des morceaux les plus emblématiques de l’ONJ Antoine Hervé comportait un beau solo d’accordéon [3]. Paradoxalement, on remarqua simultanément la présence de musiciens étrangers, comme Riessler ou le tromboniste Luca Bonvini… Mais on reprocha par-dessus tout à « Barthé » d’avoir introduit dans un orchestre de jazz du rock, de la soul mais surtout du baroque et de la musique contemporaine, et d’avoir fait jouer ce tout hétérogène par des musiciens qui n’étaient pas forcément issus du sérail…

Autant d’initiatives somme toute assez banales, mais qui furent perçues comme iconoclastes à l’époque ; pourtant, cela témoigne surtout d’une volonté de livrer une musique méticuleusement concoctée, quoique turbulente et un peu brouillonne. On peut même reconnaître à Claude Barthélémy un talent de visionnaire dans ce modelage prétendument hétéroclite qui présage des orientations à venir.


Claude Barthélémy (dir, comp, g), Jean-François Canape (tp, flh), Patrick Fabert (tp, flh), Yves Favre (tb), Luca Bonvini (tb), Michel Godard (tu), Robert Rangell (as), Michael Riessler (as), Serge Lazarevitch (g), Gérard Pansarel (g), Marco Nissim (p), Jean-Louis Matinier (acc), Renaud Garcia-Fons (b), Jean-Luc Ponthieux (b), Manuel Denizet (dms), Christian Lété (dms).

par Franpi Barriaux // Publié le 15 août 2011

[1Il est actuellement membre de l’Orchestre de l’Opéra de Paris.

[2Et comprend un « Ivan Lendl » très représentatif de l’exubérance de cet ONJ.

[3« Sous les lofts de Paris », voir notre chronique.