Chronique

Papanosh

Home Songs

Raphaël Quenehen (ts, bs, ss), Quentin Ghomari (tp), Sébastien Palis (cla), Thibault Cellier (b), Jérémie Piazza (dms) + Roy Nathanson (bs, ts, ss, voc), Marc Ribot (g), Linda Oláh (voc)

Label / Distribution : Enja Records

On est tellement habitué à ce que Papanosh soit une auberge espagnole où passent toutes sortes d’invités que A Chicken In A Bottle, leur dernier album en quintet seul, faisait presque figure d’exception. Mais voici Home Songs. Retour à la maison donc, où est le cœur dit-on, pour y retrouver de nouveau des convives. Pas n’importe lesquels, excusez du peu ! Au fidèle Roy Nathanson s’ajoute désormais Marc Ribot. Du premier, fée barbichue penchée depuis des années sur le berceau rouennais, on peut dire sans se tromper qu’il a désormais son rond de serviette. Quant au second, il s’agit juste de leur figure tutélaire adolescente… Une paire de New-Yorkais qui donnent à « Skätefulk », l’hymne papanoshien de l’organiste Sébastien Palis, une énergie supplémentaire - si tant est que cela soit possible. Le baryton de Nathanson et les entrechats électriques de Ribot vous communiquent un furieux besoin de déhanchement. Une nécessité à laquelle Thibault Cellier [1] et Jérémie Piazza, impeccable rythmique, ne sont pas étrangers. On se demande d’ailleurs qui est dans sa propre maison et qui voyage.

Le disque, court et tranchant, a été enregistré à New-York en une journée. Un format qui favorise l’instantanéité et sied à merveille à « Monsieur Shadows » le titre hommage à Nathanson écrit par Quentin Ghomari. La voix rauque du poète étasunien, magnifique conteur qui paraît s’amuser sur le B3 de Palis et les unissons d’un Raphaël Quenehen lyrique et de Ghomari, est chuchotante et intime. Monsieur Shadows est chez lui et il invite les oiseaux de passage, renouant avec une tradition de la Jam Session qui sied parfaitement aux Rouennais. Il est parfois de bon ton dans ce cas d’en faire des tonnes et de choisir la virtuosité. Ce ne serait pas Papanosh. Le disque est donc éclatant de simplicité et d’énergie collective.

Ce disque, c’est un peu la déclaration d’indépendance de Papanosh. L’ombre de Mingus est toujours là (« King of The World »), des traces résiduelles d’influences balkaniques persistent dans une lecture plus zornienne que jamais (« Les Colchiques »), mais en quelques morceaux lumineux le quintet s’installe et annonce que c’est dans cette musique-là qu’il résident ; qu’il n’y a plus qu’à ouvrir les compteurs et installer les photos de famille au mur. C’est pratique, car ce jazz-là vient de partout et s’en va où il veut, à la vitesse qui lui convient. « K’arallenta », qui à lui seul vaut le détour et l’écoute en boucle, ne dira pas le contraire. Ce traditionnel bolivien devait être chanté par Guillermo « Don Guiche » Contreras. Malheureusement, cette rencontre née à Rouen, au conservatoire, n’a pas pu se concrétiser : le chanteur est mort avant l’enregistrement. C’est donc Linda Oláh qui pose sa douce voix sur ce morceau qui trottera longtemps dans la tête et donnera le sourire à quiconque est doté d’oreilles en état de marche. La chanteuse, de plus en plus présente dans la sphère des Vibrants, s’est approprié le texte en suédois. Un grand écart géographique qui vaut toutes les grilles d’analyse du monde et s’affirme comme un vrai et beau plaidoyer cosmopolite. Avec Home Songs, c’est avant tout l’auditeur qui se sent partout comme à la maison.

par Franpi Barriaux // Publié le 13 mai 2018
P.-S. :

[1Voir notre interview.