Chronique

Parfum de récidive

Bernard Struber Jazztett

Label / Distribution : Le Chant du Monde

Survivant des Orchestres régionaux, l’ancien ORJA, devenu Jazztett, créé en 1988 par Bernard Struber à partir de la classe de jazz du Conservatoire de Strasbourg, en est à son cinquième disque, non en nonet mais, cette fois, en octet à l’instrumentation rare (trois anches, une trompette, un violon, claviers, guitare, batterie)

Après Les Arômes de la mémoire, fort réussi, Bernard Struber pensait intituler son prochain album Les arômes vol. 2 mais « le titre paraissait trop mercantile, et il désirait "passer à une suite parfumée »… C’est que Struber n’est jamais à court d’idées. Il continue : « Le langage courant associe souvent danger et récidive, comme dans l’expression « dangereux récidiviste », alors que se mettre en danger, c’est la situation de l’artiste, de l’improvisateur en particulier. »
Le personnage ne manque pas de répartie, on s’en rend compte.

Struber explore depuis longtemps tous les univers avec gourmandise, refusant chapelles et sectarismes, hélas fréquents même dans les musiques actuelles : il goûte volontiers les musiques traditionnelles d’Afrique ou d’Asie, le blues et le jazz des premiers temps, Armstrong et Zappa, ce qui ne saurait (nous) déplaire.

Quant au musicien, il joue de l’orgue mais aussi du piano et de la guitare. Sa direction souple mais orientée ne laisse point de doute : il ne faut pas attendre longtemps après l’ouverture lente, élégamment songeuse, du premier thème (« Prélude à l’inattendue ») pour reconnaître un vrai son de groupe dans le titillement joyeux des anches qui s’emballent au son d’une batterie déchaînée. Ça joue vite, fort et bien. Les amateurs de musiques non exclusives apprécieront les ruptures de rythme entre et au sein même des morceaux, l’alternance de pièces rêveuses et très contemporaines (la clarinette et clarinette basse de Jean-Marc Foltz) avec le rock le plus ardent. Il est vrai que la rythmique est conduite de façon impériale par Eric Echampard, sans doute le batteur le plus doué pour effectuer le passage, toujours délicat, entre jazz et rock (« Fécondation in rythmo »).

Difficile d’isoler des titres car l’ensemble s’écoute d’une traite, l’architecture globale ménageant des transitions au final plus subtiles qu’on aurait pu le croire. Titres toujours singuliers, inattendus, à l’image du chef et de ses hommes. C’est en cela que cette musique accroche immédiatement, on ne sait trop où elle nous conduit, elle ne se laisse pas faire et résiste à toute tentative d’interprétation trop rapide. Ce qui évite de s’enliser dans un ennui trop… prévisible justement.

Voilà sans doute en quoi Bernard Struber a le mieux retenu la leçon de Zappa : dans l’art de pratiquer des superpositions élégantes et des collages qui désarçonnent, l’art de toujours prendre l’auditeur par surprise, de le déstabiliser en lui promettant pourtant de le conduire jusqu’ « Aux Portes du désir ».

Pour avoir une des clés de la musique de ce superbe Jazztett, écoutons encore Struber : « D’un point d’ouïe musicale, ces musiques ont été conçues et interprétées dans l’imaginaire du rock, oxygène majeur de notre éveil à la musique ». Ce n’est pas seulement une question de génération ; c’est le plaisir des sens, le goût non pas de la provocation mais d’une saine rébellion, l’urgence de la déclaration, que fleure bon l’arôme rock issu du corps même de la forme jazz.