Chronique

Parrinha - Lopes - Jacinto

Garden

Bruno Parrinha (cl, as, ss), Luís Lopes (elg), Ricardo Jacinto (cello, electronics)

Label / Distribution : Clean Feed

La rencontre des trois musiciens qui ont enregistré ce disque à Lisbonne en 2015 est une bouture en terre nouvelle. Le soufflant José Bruno Parrinha est issu d’un parcours jazz plus classique que ses partenaires joueurs de cordes. Le guitariste Luís Lopes est associé à la scène improvisée-contemporaine-noise et on lui doit chez Ayler de belles « électrifications », notamment avec son Humanization Quartet . Son compatriote Ricardo Jacinto est un installateur sonore épris d’un antique instrument, le violoncelle, qu’il n’hésite pas à électrifier.

Cet album défie l’écoute confortable sans susciter agacement ni ennui, car il se construit sur les micro-bouillonnements permanents. Lents, amples, articulés, soufflés, électrifiés, ces sept morceaux sont pensés et la tension, quand elle survient, est calculée. Leur nom est d’ailleurs composé de chiffres.

Garden est une p(l)age sonore qui demande une mise en condition avant d’y plonger. Dans le texte que signe le trompettiste Sei Miguel, sur la pochette, il est bien question de temps et de minutie, où s’épanouit la poésie : « Au début ou à la fin de la journée – car il s’agit d’un album à écouter au crépuscule ou la nuit – remarquez comme, dans cette musique, même la tristesse devient libératrice. Un douloureux mais bon moyen de confirmer son accord parfait. » (« Before or after the day – for it is a record of twilight and night time – notice (feel) how in this music sadness itself proves liberating, a painful but valid way of confirming its fine tuning »).

Ainsi, une conversation prend vie. Elle est douce, bien que dénuée parfois de logique. Elle tient sur ces mots qu’on laisse sortir quand le besoin de dire est trop fort. L’engagement des trois instrumentistes est comme libéré d’une discipline ancestrale. Pas d’enfantillages mais une intrépidité adulte qui traduit leur maîtrise. Dominés d’abord par les rebonds, puis les frottements longs de l’archet de Ricardo Jacinto sur les cordes du violoncelle, les échanges laissent la place à des sons inquiétants, neufs, comme pressés de sortir au grand jour. C’est une force farouche et naturelle qui s’exprime dans ces modulations qui semblent se découvrir et se tourner autour. Le souffle de Parrinha s’ouvre aux interventions rutilantes de Lopes à la guitare. La clarinette bénéficie parfois, par à-coups, de l’amplification et des traitements électroniques de Jacinto qui soulignent son chant, profondément inspiré, respiré, naturellement interprété, ressenti.

Garden, on s’en doutait, n’invite pas l’auditeur à une promenade dans des allées à la française, mais dans des jardins sauvages, ceux où la nature, dans l’ombre, offre à l’homme ses plus merveilleuses créations. Fragiles et changeantes, troublées et chatoyantes. En pleine croissance.