Entretien

Patrick Avigdor, Michel Benita

Cure de jouvence pour une « grand-mère » pas comme les autres…

Quand il s’agit d’aller faire un tour, la « grand-mère » est plutôt encombrante, fragile et dépensière… Le contrebassiste regrette alors de ne pas être harmoniciste ! Bien sûr, il peut toujours abandonner l’aïeule à la maison et se rabattre sur une basse électrique, une electric upright bass ou une baby bass. Mais dans aucun cas, il ne retrouvera le caractère de l’ancêtre, à moins, peut-être, qu’il n’adopte la Volante Bass, une contrebasse pliable mise au point par Patrick Avigdor, et testée, entre autres, par Michel Benita.

  • Citizen Jazz : Vous êtes guitariste et banjoïste, alors pourquoi une contrebasse pliante ?

Patrick Avigdor : Il y a deux ans, l’orchestre New Orleans dans lequel je joue, le Sequana Swing, devait se rendre au festival de jazz de Tanger. Nous avons constaté que le coût de transport aérien d’une contrebasse était plus élevé que celui d’un passager ! J’ai donc eu l’idée de construire une contrebasse démontable, à partir d’un instrument d’étude que mon ami Yves Piriou, contrebassiste de l’orchestre, a eu la gentillesse de me donner. Après deux mois de travail, nous sommes partis avec un prototype. Quand j’ai vu l’intérêt que suscitait celui-ci pendant le festival, ainsi que dans d’autres manifestations, j’ai amélioré le système et déposé un brevet, en décembre 2003.

  • Pourriez-vous décrire le « mécanisme » de pliage de la Volante Bass ?

PA : Le brevet n’est pas encore publié… Je ne peux pas vous donner de détails - seulement vous dire que je suis parti de l’idée que plus je conserverais d’éléments d’une vraie contrebasse, plus j’aurais de chances d’obtenir un résultat préservant les propriétés de l’instrument traditionnel.

J’ai donc utilisé une table d’harmonie suspendue sur des raidisseurs. Ce principe permet de transmettre les vibrations naturelles du bois. Le pliage de la table, très simple, aboutit à un volume restreint. Le manche est, lui aussi, démontable. A l’origine, le système était un peu compliqué, mais j’ai retravaillé la forme du talon du manche de façon à simplifier les opérations. D’autre part, un système très simple permet de régler la hauteur des cordes pour s’adapter au jeu de chacun. Aujourd’hui, il faut à peine trois minutes pour assembler et accorder l’instrument.

  • Quelles sont les différences entre les parties de la Volante Bass et celles d’une contrebasse traditionnelle ?

PA : Je voulais que l’esthétique et l’acoustique restent très proche de l’instrument traditionnel. On retrouve donc les composants traditionnels servant à la construction d’une contrebasse : table d’harmonie, éclisse, manche, touche, chevalet, cordier, etc. Et je n’ai eu que de bonnes réactions sur ce plan.

la Volante Basse à la campagne ©. P. Avigdor
  • Et au niveau des matériaux utilisés pour sa construction ?

PA : Essentiellement du bois ! Table et barre d’harmonie, manche, et pour le reste, les éléments traditionnels indiqués plus haut. Nous n’avons pas constaté de différence notable dans la restitution du son entre une table d’harmonie en massif ou en contreplaqué. Nous avons donc choisi ce dernier pour des raisons de solidité et de résistance climatique.

  • Quelles sont les caractéristiques de la Volante Bass par rapport à une contrebasse traditionnelle en termes de taille et de poids ?

PA : Son poids est de 9 kilos. Démontée et pliée, son encombrement est de 115 x 25 x 25 cm. Dans sa housse, elle pèse 11 kilos, et 21 kilos dans le « flightcase ». On peut donc la transporter très aisément en avion, en train, en voiture et même à pied !

  • Sur le plan de la solidité, le fait qu’il n’y ait pas de corps rend-il l’instrument plus fragile ?

PA : Il faut prendre quelques précautions élémentaires lors du montage/démontage mais les contrebassistes ont l’habitude de manipuler leur instrument… Une fois qu’elle est rangée dans sa housse ou son étui, le transport est plus sûr du fait de son encombrement très réduit.

  • Comment palliez-vous l’absence de caisse de résonance ?

PA : Sans amplification, le son est faible mais suffisant pour travailler chez soi sans déranger le voisinage. L’amplification des vibrations est réalisée via un capteur livré d’origine, que nous avons choisi pour ses qualités de restitution naturelle du son. L’instrumentiste pourra, par la suite, adapter un autre modèle en fonction de son goût et/ou du style de musique qu’il joue.

  • Sur photo, la Volante Bass est très élégante ! A-t-elle déjà été essayée par un bassiste ?

PA : Une vingtaine de contrebassistes est venue l’essayer, dont des professionnels très connus. Et je suis très heureux de dire que tous ont trouvé que c’était le meilleur instrument de ce type qu’ils aient essayé, tant du point de vue ergonomique, que de la restitution du son d’une contrebasse. D’ailleurs, Michel Benita l’a immédiatement appréciée et l’utilise début avril pour une série de concerts en Europe et au Moyen-Orient. J’attends avec impatience ses commentaires !

  • Dans quelles conditions a-t-elle été testée : en studio, en club… ?

PA : Dans mon magasin et chez un revendeur spécialisé, à Paris, sur plusieurs amplificateurs de milieu et haut de gamme. Lors d’une série de concerts à l’étranger, un groupe français l’a utilisée avec une sono de scène. Enfin, notre contrebassiste l’utilise régulièrement lors de nos concerts.

  • Le son de la Volante Bass se rapproche-t-il davantage de celui d’une basse électrique fretless que d’une contrebasse traditionnelle ?

PA : Le principe de sa construction permet d’obtenir un son traditionnel qui n’a rien à voir avec celui que l’on entend, généralement, avec les autres modèles commercialisés. Selon les contrebassistes qui l’ont essayée, il n’y a pas de différence notable comparée à un bon instrument traditionnel. Eric Vincenot, qui a été un des premiers contrebassistes à l’essayer, a, je pense, trouvé l’expression qui la définit bien : « Elle a le son du bois ».

  • Sur le plan technique et des sensations de jeu, les musiciens qui ont essayé la Volante Bass, ont-ils trouvé des différences par rapport à une contrebasse ?

PA : Le jeu est très proche et tous les instrumentistes qui l’ont essayée m’ont indiqué qu’ils étaient satisfaits de retrouver d’emblée leurs appuis et qu’ils n’étaient, en aucune façon, obligés d’adapter leur jeu à l’instrument.

  • Quel sera le bassiste-type qui jouera de la Volante Bass : classique, jazz… ?

PA : Il faut savoir que le son est aussi bon en pizzicati qu’avec un archet. Donc, elle peut être utilisée par tous les contrebassistes. Cependant, les « classiques » seront peut-être mal vus par leur chef d’orchestre (rire).

La Volante Bass au dodo… © Patrick Avigdor
  • Un certain nombre d’autres luthiers se sont lancés dans la fabrication de contrebasses légères ou pliantes, comme Bespoke, Jean-Yves Alquier, Barker, Yamaha… Quelles sont, selon vous, les principales différences entre la Volante Bass et ses cousines ?

PA : A ma connaissance, parmi celles que j’ai eu l’occasion de voir et d’entendre, aucune n’utilise une table d’harmonie traditionnelle, donc leur son n’est pas transmis de la même manière que sur une contrebasse classique ou sur la Volante Bass. Cela reviendrait à comparer le son d’une guitare électrique à celui d’une guitare électroacoustique qui utilise les vibrations transmises par la table d’harmonie. D’autre part, le manche démontable est une caractéristique rarissime.

  • Vous avez confié la réalisation de la Volante Bass à Maurice Dupont. Pourquoi le choix d’un luthier surtout connu pour ses guitares ?

PA : Pour trois raisons :

  • il est très réputé pour la qualité de ses fabrications (guitares, violoncelles, violes de gambe),
  • il a été très intéressé par le projet et a mené à bien le développement de la production,
  • ses moyens de fabrication sont modernes et adaptés à la petite série.
  • La Volante Bass sera-t-elle construite uniquement sur commande ou prévoyez-vous « un stock de sécurité » ?

PA : Avec Maurice Dupont, nous avons prévu de construire des petites séries permettant de répondre rapidement à la demande. Si, comme nous l’espérons, la Volante Bass rencontre un bon succès, ses ateliers et moyens de production sont suffisamment réactifs pour augmenter leur capacité.

  • Combien de temps demande la fabrication d’une Volante Bass ?

PA : S’il n’y a pas d’instrument en stock, il faut compter un mois de délai pour une petite série. Nous avons lancé une première série qui sera prête fin avril et servira principalement à honorer les premières commandes et la mise en place de quelques exemplaires chez les revendeurs spécialisés.

  • A quel prix sera commercialisée la Volante Bass ?

PA : Elle sera vendue environ 2 600 € avec housse et support. Le « flight-case » sera disponible à la vente ou à la location dans mon magasin.

  • Comment prévoyez-vous de la distribuer ?

PA : Dans un premier temps, nous la présentons aux magasins spécialisés pour constituer un réseau de vente. D’ores et déjà, on peut l’essayer et la commander dans mon magasin à Paris. Nous avons déjà enregistré quelques commandes.

  • Le mot de la fin ?

PA : En tant que musicien, je suis heureux d’avoir donné naissance à la Volante Bass qui résout les problèmes liés à l’encombrement, tout en conservant le son de la contrebasse traditionnelle, et de constater que les a priori disparaissent dès qu’on l’a essayée…

Après le concepteur, nous avons demandé au musicien de nous donner son avis sur la Volante Bass. Michel Benita s’est prêté au jeu, évidemment sans avoir lu l’entretien avec Patrick Avigdor… Voici son récit.

Née pour le voyage… et les oreilles

Il se trouve que Patrick Avigdor, le créateur de la Volante Bass, m’a contacté pour que je vienne l’essayer et que je lui fasse part de mes remarques. Depuis quelques mois, elle a surtout pris l’avion : Israël, Istanbul, Dubaï, Prague, Budapest, l’Allemagne etc. principalement avec le Ladyland Quartet d’Erik Truffaz.

On voyage énormément, et je souffle enfin un peu de ne plus avoir à me trimballer le flight-case et à m’angoisser pour l’éventuelle casse… Enfin, même si rien n’est jamais assez léger quand on voyage, avec ses 20 kg flight-case compris, et son faible encombrement, c’est un changement « drastique ». Finis les gros yeux de l’hôtesse dès qu’on s’approche du guichet au check-in !

J’ai joué de la Volante Bass dans des salles de concert, en club, en plein air… Elle se comporte très bien à chaque fois. Elle est montée en cinq minutes montre en main et Patrick a même compté le nombre de tours à donner aux mécaniques pour tendre et détendre les cordes et se retrouver pratiquement à chaque fois à 440 ! Ce n’est pas une blague : je n’ai que des ajustements infimes à faire une fois les quinze tours accomplis ! Point de vue solidité, les quelques petits problèmes de jeunesse (décollements) sont déjà résolus dans la version définitive. Le prototype que j’utilise est pratiquement parfait.

Ce qui est intéressant, c’est la forme de l’instrument qui, avec sa table dépliable, reprend la forme traditionnelle.

Michel Benita - Les Mureaux - Février 2005 © Patrick Audoux

On aurait pu craindre le côté « creux » et l’absence d’appuis, mais Patrick y a pensé en incluant un bout d’éclisse contre le ventre, qui permet de ne pas perdre la sensation de l’instrument et de se retrouver exactement dans les mêmes appuis qu’avec une contrebasse « normale ». C’est important parce que c’est la première fois que je peux m’exprimer sans avoir l’impression d’utiliser une prothèse, avec un instrument de ce type. En pizzicato, il y a très peu de différence entre la sonorité de la Volante Bass et une celle d’une contrebassse « normale ». La Volante Bass sonne déjà, même sans amplification grâce à sa table, faiblement au niveau puissance, bien sûr, mais elle a déjà une qualité de son qui se retrouve logiquement une fois amplifiée. Avec le pickup « The Realist » et un réglage d’ampli qui creuse les médiums, on obtient un son très proche de l’acoustique. C’est plus difficile à l’archet, je dois l’avouer, où on perd de la puissance et du grain. Mais j’attends avec impatience l’instrument définitif qui abandonne l’aluminium pour le bois, pour le corps central de l’instrument. Ceci devrait grandement améliorer les choses.

Je préfère ne pas parler des autres types de contrebasses légères du style upright… j’ai déjà utilisé le mot de « prothèse »… Je joue également de la basse, mais la Volante Bass est une contrebasse, pleinement une contrebasse et rien d’autre. Cependant on peut jouer beaucoup plus fort et donc se rapprocher d’une « fonction » de basse électrique. Comme je le disais plus haut, le choix du Realist de David Gage me satisfait pleinement et je demande toujours un ampli Gallien Krueger. C’est ma combinaison gagnante. J’en profite aussi pour souligner que je gagne beaucoup en clarté (et sans feedback !) dès que je dois jouer plus fort, ce qui m’arrive souvent avec le Ladyland où la musique l’exige.

A part mes réserves concernant l’archet, il n’y a pas grand-chose à améliorer. Un flight-case mieux conçu peut-être, avec des roulettes… mais Patrick me dit que c’est déjà fait, alors… Je l’emporte du 1er au 15 juillet, elle va découvrir entre autres Montréal ou la Slovénie en passant par Naples…

par Bob Hatteau // Publié le 24 septembre 2005
P.-S. :

Pour aller plus loin…

A écouter

Drastic

Michel Benita : acoustic and electric basses, guitar, keyboards, percussion, vocals, samples, FX, vocoder computer programming and treatment.

With : Stephanie McKay (voc), Jalal The Grandfather of Rap (Revolutionary Arts Proverbalization - voc and Spoagrapics, Spoetry, Nils-Petter Molvær (tp), Dhafer Youssef (oud, voc), Pierre De Bethman (fender rhodes), Stéphane Guillaume (fl, cl b), Kpt’n Planet (Pipon Garcia - dr, FX, voc), Ingrid Rieber (spoken word)

Sampled appearance : Archie Shepp (voc), Erik Truffaz (tp), Paolo Fresu (tp), Ronnie Patterson (spoken word).