Entretien

Paul Lay

Paul Lay raconte ses débuts musicaux, sa rencontre avec les musicien.nes qui deviennent ses partenaires de scène.

Photo © Gérard Boisnel

Originaire du Sud-Ouest, très actif sur de nombreuses scènes, ce pianiste a déjà reçu la récompense suprême de l’Académie du Jazz (prix Django Reinhardt) et poursuit un cheminement marqué par la multiplicité des projets.
Entretien sous forme de mini biographie : qui êtes-vous Paul Lay ?

Paul Lay par Pierre Vignacq

- Vous avez reçu le prix Django Reinhardt en 2015, signe majeur de reconnaissance. Vous attendiez-vous à cette distinction ?

Non, je ne m’y attendais pas particulièrement. Je l’ai reçu avec beaucoup de joie, de gratitude. Notre itinéraire de musicien est long, semé de rencontres, la plupart du temps très belles et inspirantes, de projets à développer, de disques à faire vivre sur scène. Si notre travail est récompensé c’est encore plus motivant !

- Votre trio avec Simon Tailleu et Isabel Sörling a du succès partout où il est programmé ; je crois que le CD se diffuse bien aussi. Pouvez-vous nous dire comment cette belle histoire s’est mise en place ?

Ce trio est né au théâtre de la Criée à Marseille, dans le cadre de Marseille Provence 2013, grâce au soutien de Robert Foucher et Macha Makeïeff, deux fidèles partenaires. Je leur dois beaucoup. L’idée était simple : revisiter les chansons du répertoire provençal des années 20-30, (« Adieu Venise provençale », « J’ai deux amours », « Le Petit cabanon ») dans un format particulier voix-piano-contrebasse, avec mes acolytes Isabel et Simon. Nous avions dès lors agrémenté le répertoire de compositions en langue anglaise et suédoise.
Cela a abouti à un disque : Alcazar Memories (partie du double album) chez Laborie Jazz en février 2017. Poésie mise en musiques, nouvelles compositions sont alors gravées. Oui, l’enthousiasme est fort, autant sur scène que dans la salle. On se connaît fort bien tous les trois. On se met en danger, on s’amuse, à chaque fois c’est une première fois. Cela a été deux rencontres déterminantes pour moi. Un groupe qui m’est très intime et cher.

J’aime me diversifier, tout en maintenant une ligne artistique. J’ai besoin que ça bouillonne.

- Isabel Sörling, on a l’impression qu’elle apparaît soudain dans notre espace musical (Airelle Besson, votre trio), mais comment l’avez-vous découverte, engagée dans ce projet « marseillais » qui est devenu « Alcazar Memories » ? Même question pour Simon Tailleu…

J’ai rencontré Isabel Sörling en 2012 au Conservatoire National Supérieur de Musique, par le programme Erasmus de son Ecole suédoise. À cette époque, j’étais déjà diplômé du conservatoire, et j’étais régulièrement engagé pour accompagner les examens de fin d’année. Un beau matin, Isabel, première candidate, que je connaissais juste de nom (par le bouche-à-oreille des étudiants) entre dans la pièce. Riccardo Del Fra, chef du département jazz, lui dit :« Nous aimerions que tu nous chantes »My Funny Valentine«  ».
Isabel entame la chanson et dès les premières notes, je me suis dit : « Oh là là, il se passe quelque chose ». J’étais littéralement subjugué, envoûté par sa voix.
Nous avons rapidement fait connaissance, et quelques semaines plus tard, je lui proposais de monter cette création pour Marseille Provence 2013. Depuis une amitié forte nous lie.
J’avais également rencontré Simon Tailleu au Conservatoire quelques années auparavant. J’ai tout de suite apprécié ses qualités de contrebassiste au son rond, puissant, précis. C’est un fidèle compagnon de scène depuis sept ans maintenant.

- Vous semblez avoir une activité importante, concerts, écriture, direction d’orchestre, mais au fond on ne connaît peut-être que la partie émergée. Dites-nous tout…

J’aime me diversifier, tout en maintenant une ligne artistique. J’ai besoin que ça bouillonne. Et puis ça me plaît de jouer avec les géométries : du récital solo au tandem exaltant avec le vidéaste Olivier Garouste sur notre performance vidéo- musicale « Billie Holiday passionnément », en passant par mes deux trios « The Party » et « Alcazar Memories ». Les opportunités font naître de nouveaux programmes, également : ma participation à The Bridge (www.thebridge2017.com), à bord du Queen Mary 2 en juin dernier, m’a permis de créer de nouveaux spectacles sur le bateau. J’emmenais 9 artistes avec moi, mêlant, musique, vidéo, et danse. Cela a fait son chemin.. L’élaboration de nouveaux projets en plus grande formation est en cours..

Paul Lay par Pierre Vignacq

- Vos « racines » sont dans le Sud-Ouest de la France. Parlez-nous un peu de votre apprentissage du piano, du jazz, de la musique…

J’ai commencé à 5 ans à Mont-de-Marsan, avec une prof de piano géniale, Mme Lamothe, visionnaire, qui m’a fait découvrir l’instrument de façon particulièrement ludique. Elle avait également programmé des logiciels d’ear training (supra-geek cette dame !). Mon oreille s’est développée assez tôt grâce à elle. Elle m’a fait comprendre depuis mes premiers cours que c’est l’oreille qui guide les doigts, et non l’inverse. « Si tu peux le chanter, tu peux le jouer » Essentiel. Puis découverte du jazz à Orthez avec Didier Datcharry, puis à Dax avec Jacky Berecochea, et puis j’ai passé mes années de lycée à Toulouse, me perfectionnant au conservatoire en classe de piano. J’ai assidûment pratiqué les stages d’été de Marciac. Parcours riche, guidé par des personnalités fortes, pédagogues et bienveillantes. C’est à cette période que j’ai rencontré Sylvain Darrifourcq, Fidel Fourneyron et Benjamin Dousteyssier, avec qui j’ai beaucoup joué à l’époque et qui restent de très bons amis. Ils m’inspirent toujours profondément.

- Ils ont tous les trois pris des chemins dans la musique très improvisée, parfois déstructurée ou minimaliste. Vous êtes resté dans une veine plus classique, mélodique. Comment l’expliquez-vous ?

J’ai vécu mes premières expériences de jazz, de musique improvisée, adolescent avec eux. Nous étudions à l’époque le jazz, son histoire, en atelier de l’école de musique d’Orthez, de Dax, puis Toulouse. Les trois sont de grands mélodistes, avec un champ d’expression très vaste, large et un sens profond du rythme, qui est pour moi tout aussi essentiel. Forcément, notre expérience est jalonnée de rencontres, d’affinités musicales, donc de choix esthétiques qui s’affinent et évoluent. C’est toujours ce que j’ai aimé chez eux. J’aime leur manière de vivre, de jouer, de penser la musique, leur radicalité, leurs choix « dans l’instant ». Je respecte énormément leur travail, et avant tout l’énergie qu’ils dégagent sur scène, qui attrape l’auditeur irrépressiblement. J’espère qu’on va rejouer ensemble bientôt !

Mon travail se concentre surtout sur la justesse des propositions musicales - le silence notamment

- Comment expliquez-vous cet attrait pour les vieilles chansons dans vos projets ? « Alcazar », « The Bridge », « Billie »… Quelle est la méthode pour les mettre « à votre main » ?

Mon premier rapport à la musique est fondamentalement vocal. Ma mère chantait, on écoutait énormément d’airs, chansons, mélodies de tous styles musicaux. Et c’est vrai que ma première interaction au piano à l’âge de trois ans était de retrouver les mélodies et harmonies des chansons qui passaient à la radio. Je les fredonnais, tâtonnais et les retrouvais au clavier, avec ainsi un rapport instinctif aux sons et aux intervalles. Mon oreille a commencé à s’éduquer de cette manière.
Pourquoi donc les vieilles chansons ? Parce que c’est un terreau formidable de créativité. Ce sont des mélodies d’une grande pureté, qui touchent au cœur, que nous pouvons remodeler à l’infini, Pour la forme, la structure, Le rapport au texte. En tant qu’harmoniste c’est un merveilleux champ d’expérimentation. Quelles couleurs utiliser ? Partir des originales, les développer ? Ou juste partir du fragment mélodique et construire un univers harmonique totalement différent ? C’est à chaque fois un nouveau puzzle que j’adore recomposer.

- Vous êtes le pianiste de Ping Machine, un grand format : quelle différence cela fait par rapport à vos trios ? Qu’y faites-vous comme musique ? Qu’y trouvez-vous comme sensations ?

J’ai intégré cette très belle formation il y a cinq ans, succédant à Benjamin Moussay. J’ai toujours été très admiratif du travail de Fred Maurin le compositeur et guitariste du groupe. C’est une instrumentation de big band mais la musique de Fred est très personnelle, mêlant intelligemment jazz, rock, musiques improvisées, musique contemporaine, musique électronique. Sorte d’objet musical tout à fait original. Fred a trouvé sa voie, et sa voix, l’une des difficultés fondamentales de l’artiste créateur.
On y joue une musique exigeante, très stimulante, exaltante où la partie de piano, comme toutes les autres, est très rigoureuse. Fred me laisse très libre, et c’est aussi pour ça que je me sens bien. C’est la musique la plus écrite des formations avec lesquelles je me produis ; les partitions me font étudier des aspects complémentaires : des métriques rythmiques particulièrement complexes, d’autres modes musicaux (ceux de Messiaen, ça nourrit mes phases de travail à la maison) et l’utilisation des synthétiseurs.
Et des questionnements : comment le piano se place dans un grand orchestre ? Alternant des parties très écrites, et soudainement accompagnant de longues plages d’improvisations, puis devenant soliste à son tour ? Un peu schizophrène, j’aime.
Il faut être le plus en phase avec l’instant qui est en train de se jouer. Donc mon travail se concentre surtout sur la justesse des propositions musicales - le silence notamment (!) quand c’est possible - c’est ce à quoi je m’emploie assidûment.

- Avec le spectacle Billie est-ce que vous improvisez encore ou est-ce que tout est écrit ? Comment fonctionne l’interaction vidéo/piano ?

Entre les deux ! Une trame narrative sur la vie de Billie Holiday ; de son côté Olivier a composé un véritable puzzle d’images et de vidéos qu’il réassemble à chaque fois d’une nouvelle manière, sur des standards ou des compositions que je joue au piano en temps réel. Belle conversation entre nous deux, sur scène. Les mouvements et gestes de l’un conditionnent la créativité de l’autre partenaire, pendant une heure quinze de spectacle. Ça fait maintenant trois belles années, pour tous les publics. C’est un programme qui marche très bien. Il est vivement soutenu par le CCR Les Dominicains de Haute-Alsace, fidèle partenaire à qui je dois beaucoup.

Paul Lay par Gérard Boisnel

- Votre jeu est très coloré, très mélodique et puise dans le groove pour des accords profonds et dans le chant pour une main droite agile. Qui sont vos références, vos maîtres ? En musique, en peinture, en cinéma, en littérature ?

Pour le jeu mélodique j’en reviens à l’aspect vocal. Il faut que les lignes vibrent à l’intérieur du corps, ainsi elles chanteront naturellement sur le clavier.
Pour les références en général c’est toujours difficile de sélectionner. Il en aurait tant à citer… On parlait de chant donc, pour le jazz, nous avons les incontournables : Billie Holiday, Bessie Smith, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan (Et aussi trois jeunes chanteuses qui s’appellent Cécile McLorin Salvant, Leila Martial et Isabel Sörling !)
Pour les pianistes - je me borne seulement aux pianistes que j’écoute en ce moment pour cet entretien - j’écoute les anciens : Teddy Wilson, Hank Jones (le patron, l’un des plus beaux sons de piano que je n’ai jamais entendu !), Paul Smith (l’autre patron, moins connu, que François Théberge m’a fait découvrir lors de mes années au CNSM ! Je l’en remercie encore), Mary Lou Williams la patronne ! et tant d’autres. Quelques autres essentiels pour le rythme également : James P. Johnson, Duke Ellington, Ahmad Jamal, Thelonious Monk, Bill Evans, Paul Bley, Cecil Taylor. Et dans ceux de ma génération : Sullivan Fortner, David Virelles, Michael Wollny.

Mais je n’écoute pas que du jazz bien entendu. Je me plonge dans l’œuvre de Wagner (Tristan précisément) depuis quelques semaines, les suites anglaises de Bach par Perahia, autant que la chanteuse indienne Kishori Amonkar, ou Aretha Franklin qui me bouleverse toujours autant (je viens de récupérer l’intégrale de ces albums).

Deux films fort récents au cinéma en ce moment que j’ai beaucoup aimés : Le Jeune Karl Marx et The Square. Brillants, incisifs, piquants, je les recommande vivement.
Je lis en ce moment Une Histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn, couplée avec Un Petit héros de Dostoïeivski. Pour la peinture, j’admire Pierre Soulages depuis longtemps. C’est lui que je citerai aujourd’hui. Il y a tant de parallèles à faire entre la musique et la peinture. En tout cas, la lumière, la forme, le style, l’air dans ses couleurs et la structure de ses toiles me donne de quoi nourrir mon imaginaire pour longtemps.

- Est-ce que vous savez cuisiner ?

Euh .. oui .. quelques plats de mon Sud-Ouest natal, grâce à ma mère et à ma grand-mère. Des soupes ! Ou une omelette aux cèpes, hachis parmentier de canard, poulet basquaise. Rien de bien compliqué, privilégiant la qualité des matières premières.

- Est-ce que vous êtes amoureux ?

Oui. Et papa. Tout aussi dingue.

par Philippe Méziat // Publié le 19 novembre 2017
P.-S. :

Paul LAY - Alcazar Memories - « 100 Fires »