Chronique

Perelman / Shipp

The Art of Perelman / Shipp

Ivo Perelman (ts), Matthew Shipp (p) + invités

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Le saxophoniste brésilien Ivo Perelman et le pianiste new-yorkais Matthew Shipp sont des titans, nul n’en doute. Ainsi, lorsqu’il fêtent ensemble les vingt ans de leur collaboration (Cama de Terra, leur premier album commun, est paru en 1996), ce n’est pas un seul disque-anniversaire qu’ils enregistrent, à l’instar de Peter K. Frey et Daniel Studer, mais sept ! Leo Records, fidèle depuis 1999, a convié le duo en studio avec leurs invités entre octobre et novembre 2016. La fête d’anniversaire a été immortalisée dans le coffret The Art of Perelman-Shipp, où l’on dénombre sept musiciens ; mais pas autant de trios : la chose serait trop simple et monotone, ce n’est pas le genre de la maison. Bien sûr, le volume 1 (Titan) s’illustre par une rencontre intime et puissante avec le contrebassiste William Parker et le volume 7 (Dione) par un affrontement élégant et nerveux avec le batteur Andrew Cyrille, notamment dans la roborative « Partie 3 ». Mais les autres faces exposent des attelages qui vont du quartet au duo, nécessairement central, situé dans le volume 6 (Saturn).

Chaque volume peut être acquis séparément, mais on comprend très vite que tout tourne autour de la planète mère, le duo et ses pôles qui s’opposent pour mieux s’embrasser : le lyrisme fiévreux de Perelman et la rigueur mathématique de Shipp qui se retrouvent toujours dans une forme d’abstraction. Saturn est au centre, et peu importe que certains satellites soient aussi imposants qu’eux. Ainsi le volume 2 (Tavros) est sans doute le plus dense de la série, enregistré avec le batteur Bobby Kapp, vétéran bondissant de la New-York de la fin des sixties avec Dave Burrell et Gato Barbieri avant de jouer avec Shipp dans les années 90. Le batteur est le centre d’inertie, au mitan des pôles. Sur les fûts et les cymbales, à l’équateur, la chaleur irradie plus que de raison. Sur Hyperion (volume 4) en revanche, en compagnie du contrebassiste Michael Bisio, c’est un climat plus tropical. Les morceaux courts, portés par la profondeur de l’archet, transportent des vagues qui submergent parfois Shipp, réduisant le piano à son essence qui convoquerait un jazz revenu aux origines.

Il n’est pas surprenant de trouver en Rhea (volume 5) et Pandora (volume 3) des corps célestes luxuriants. Avec le batteur Whit Dickey, compagnon habituel de Joe Morris ou Matthew Shipp, le duo saturnien déniche un percussionniste pulsatile qui sonde en compagnie d’un contrebassiste les relevés sismologiques des mondes alentour. Sur Pandora, William Parker est un roc où Perelman abandonne à loisir de nombreux sédiments que le clavier va se charger de laisser percoler. Rhea avec Bisio est volcanique et imprévisible. Voilà qui sied parfaitement aux deux amis. Ils démontrent que la musique improvisée est une rocaille calme en apparence mais intrinsèquement rude, entre ouragans permanents et sulfures divers. La combinaison spatiale n’est cependant pas requise.

Les sept volumes :
Titan : Ivo Perelman (ts), Matthew Shipp (p), William Parker (b)
Tarvos : Ivo Perelman (ts), Matthew Shipp (p), Bobby Kapp (dms)
Pandora : Ivo Perelman (ts), Matthew Shipp (p), William Parker (b), whit Dickey (dms)
Hyperion : Ivo Perelman (ts), Matthew Shipp (p), Michael Bisio (b)
Rhea : Ivo Perelman (ts), Matthew Shipp (p), Michael Bisio (b), Whit Dickey (dms)
Saturn :Ivo Perelman (ts), Matthew Shipp (p)
Dione : Ivo Perelman (ts), Matthew Shipp (p), Andrew Cyrille (dms)