Chronique

Philippe Charlot, Alexis Chabert

Bourbon Street, vol. 1 : Les fantômes de Cornelius

1997 à la Nouvelle-Orléans. Le succès naissant du Buena Vista Social Club semble déclencher chez Alvin, jazzman septuagénaire, l’envie de faire mentir la phrase « Ce qui n’est pas ne sera pas plus tard » chantée jadis par Maxime Le Forestier. Le désir de tenter sa chance une dernière fois, de vaincre l’amertume de ne pas s’être accompli : cette thématique universelle est superbement illustrée ici dans Bourbon Street, écrit par Philippe Charlot, dessiné par Alexis Chabert et mis en couleurs par Sébastien Bouet.

Les fantômes de Cornelius en est le premier tome ; les auteurs peuvent donc se permettre de prendre leur temps, de travailler avec soin la mise en place de l’intrigue et des motivations des différents protagonistes. Les clés sont à chercher à New Orleans cinquante ans plus tôt, quelque part entre la rupture brutale d’une carrière prometteuse, la disparition mystérieuse d’un trompettiste surdoué, et une histoire d’amour défiant la mentalité du « Deep South » américain. Le scénariste Philippe Charlot est également musicien et chanteur, amateur du swing européen d’avant-guerre. Nulle surprise, donc, à le voir adopter une narration presque musicale : la progression de l’histoire n’est pas linéaire, les choses sont découvertes une à une, comme une exposition harmonique peut révéler une mélodie de façon sous-jacente.

La grande force de cette bande dessinée réside dans un précieux équilibre : d’une part le rythme, comme évoqué précédemment, et d’autre part la richesse des personnages, qui se complètent parfaitement sans jamais que le trait ne soit forcé. Alvin a encore l’élégance du crooner qu’il a été, tandis qu’Oscar est l’archétype de l’imbécile heureux pour qui la vie se déguste encore à pleine dents pourvu qu’elle soit accompagnée d’une poignée de donuts. Autres points cardinaux du quartet des « Hit That Jive Jacks », qu’Alvin veut relancer sur la route, Daroll est le plus désabusé tandis que Cornelius plie encore sous le poids du lourd tribut qu’il a payé à l’existence. Un procédé scénaristique particulier vient encore enrichir l’originalité du livre : le narrateur, la voix off qui accompagne les pages, n’est autre que Louis Armstrong, le grand Satchmo lui-même, qui n’hésite pas à délaisser ponctuellement son rôle de fantôme pour redevenir plus… palpable.

Enfin, graphiquement, tout l’album se situe dans de splendides teintes sépia, évoquant à la fois une certaine nostalgie, l’inéluctabilité du temps qui passe et la chaleur de la Louisiane, et rend encore plus attachant cet excellent premier tome de Bourbon Street.


Ne manquez pas la première édition, qui comprend de nombreux croquis et esquisses et de riches commentaires des auteurs sur leur manière d’approcher les personnages, les postures et la structure d’une planche.

Voir les premières planches sur le site izneo.com

Bamboo éditions, collection Grand Angle.