Chronique

Philipppe Mouratoglou

Steady Rollin’ Man

Philippe Mouratoglou (voc,g), Jean-Marc Foltz (cl), Bruno Chevillon (b)

Label / Distribution : Vision Fugitive

La naissance d’un nouveau label piloté par Philippe Ghielmetti est toujours une bonne chose. Surtout quand le nouveau venu, Vision Fugitive, nous livre trois galettes superbes dont Visions Fugitives, signé Foltz et Oliva, et ce Steady Rollin’ Man.

Ce disque singulier, signé Philippe Mouratoglou (un des fondateurs du label) accompagné dans cette aventure par Jean-Marc Foltz (le troisième larron de Vision Fugitive) et de Bruno Chevillon, est pensé autour de l’œuvre de Robert Johnson mais totalement investi, habité, transcendé par la vision de Mouratoglou. A la tête d’un trio à l’instrumentation iconoclaste, celui-ci propose une plongée toute personnelle dans la musique du grand bluesman pour en livrer une version qui en dit probablement plus sur la personnalité musicale du guitariste français que sur celle de son inspirateur. On est loin, en effet, de son blues rural originel. La musique de Steady Rollin’ Man est certes empreinte des senteurs de l’Amérique, mais version fantasmée, l’Amérique des grands espaces, hors du temps. Tout cela dû à une appropriation totale par les trois musiciens, qui la réinventent à l’aune de leur sensibilité propre. La voix de folk-singer de Mouratoglou plane et virevolte, portée par une guitare claire comme de l’eau de roche, vivifiante comme l’air du désert à l’aube. La délicatesse de l’association des cordes vocales et métalliques est enivrante. S’ajoute à cela la clarinette de Foltz : parfois proche - dans l’esprit - de l’harmonica, ou sonnant comme un train ouvrant la voix vers le grand Ouest sauvage. Avec des sonorités rock, blues ou contemporaines, son apport est d’une richesse infinie. La maîtrise technique de Foltz lui ouvre toutes les possibilités, faisant de lui un compagnon idéal pour ce voyage imaginaire en formation réduite. Bruno Chevillon assure quant à lui un ancrage rythmiquement indispensable, un riche contrepoint soulignant leurs lignes virevoltantes. Sa présence sur « I’m A Steady Rollin’ Man » est incroyable de justesse. Quant à la prise de son de Gérard de Haro, tout simplement, elle magnifie le jeu du trio et ce disque ne serait probablement pas ce qu’il est sans le fameux ingénieur du son des studios La Buissonne.

Une œuvre personnelle, habitée, pour une musique inventive, fraîche, subtile, parfois empreinte de mélancolie. Un genre de relecture très éloigné des reprises stériles qui fleurissent régulièrement dans les bacs. Si, outre une telle qualité musicale, les disques de ce label prometteur s’accompagnent à l’avenir de livrets à la hauteur de celui-ci (photos de Steve Shahn, dessins d’Emmanuel Guibert) [1], Vision Fugitive comblera les attentes de ses nouveaux adeptes.

par Julien Gros-Burdet // Publié le 21 janvier 2013

[1Emmanuel Guibet est l’illustrateur attitré de ce nouveau label. Quant aux photos de Steve Shahn, elles datent de 1935-1941 et proviennent d’une mission photographique de la Farm Security Administration.