Chronique

Pierre Bensusan

Encore

Pierre Bensusan (g, voc) ; invité sur deux titres : Jordan Rudess (kbd)

Label / Distribution : DADGAD Music

Trac, acoustiques à dompter, réaction du public… la musique sera-t-elle là ce soir ? Éternelle interrogation du soliste, toujours sur la corde raide, essayant d’explorer des pistes insoupçonnées, en interaction avec les auditeurs. Le guitariste Pierre Bensusan a eu maintes fois l’occasion de se poser cette question avant d’entrer en scène,lors des quelque trois mille concerts qu’il a donnés en quarante ans de carrière.

Avec un tel bilan, il est naturel de la part de l’artiste de vouloir un jour offrir la face la plus représentative de son travail. Car si le studio procure la sécurité, le confort, l’intimité avec soi-même, la possibilité de remettre ad libitum l’ouvrage sur le métier jusqu’à ce que la matière enregistrée soit à l’image de la composition telle qu’elle a été imaginée, il en va autrement « sur la route ». Or, Bensusan a publié neuf albums studio, ce qui est finalement peu pour une si longue carrière, l’essentiel de son activité consiste bien à arpenter inlassablement – et essentiellement en solo - les cinq continents.

Pour fêter ces quatre décennies, voici Encore, un triple album live représentatif de ces années autour du monde. Le guitariste a déjà publié deux live, un en solo au Freight & Salvage à Berkeley en 1995, l’autre en duo au New Morning avec Didier Malherbe en 1997. Mais ce triple album, quantitativement plus ambitieux, révèle son univers musical et ses orientations des quinze dernières années. Les influences celtes initiales figurent en bonne place sur le second disque, qui débute par quelques morceaux issus d’un concert au festival folk d’Eppalinges (Suisse, 1975). Il tenait alors la mandoline au sein du groupe bluegrass du banjoïste Bill Keith, mais jouait également quelques morceaux en solo à la guitare, essentiellement des traditionnels arrangés par ses soins. Ce même second disque se termine sur un medley celtique (2001), tour de force de plus de dix-huit minutes durant lequel Bensusan enchaîne en continu une bonne partie de son répertoire dans ce style. Ce saut dans le temps révèle l’étendue du langage guitaristique assimilé sur la période : impressionnante maîtrise du contrepoint et plus généralement de la polyphonie, et, d’un point de vue purement technique, appogiatures, harmoniques artificielles, utilisation poussée du legato et de l’effet de harpe (enchaînement de notes contiguës sur des cordes différentes) pour bénéficier au maximum du sustain naturel offert par l’accordage ouvert DADGAD. Le vibrato – des cordes comme de l’instrument lui-même – est aussi largement mis en valeur afin de remplir l’espace.

Au-delà du monde celtique, cette technique instrumentale est mise au service de compositions inclassables, parfois mélancoliques, très visuelles, mêlant des courants musicaux du monde entier, parfois au sein d’un même morceau. Bensusan évolue avec une aisance stupéfiante dans les ballades instrumentales (« Chant de nuit », « Dadgad café / Hymn 11 », « So Long Michael ») ou chantées (« Pas sage », « Demain dès l’aube ») comme dans les morceaux nettement plus enlevés (« Bourrée Voltige », « Kadourimdou », « Agadiramadan »).

Pour les connaisseurs, Encore permet de cerner les nuances d’interprétation entre les versions studio, très écrites, et les variations issues de l’instantanéité et de la spontanéité de la scène. Chez Bensusan, les morceaux vivent avec le temps, comme le bon vin - ni complètement différents, ni tout à fait les mêmes. Aux autres, ces trois disques donneront envie de tenter par eux-mêmes l’expérience, d’aller l’écouter en concert. Et vu l’agenda habituel de ce globe trotter, les occasions seront légion.