Chronique

Pierre de Bethmann Trio

Essais / Volume 1

Pierre de Bethmann (p), Sylvain Romano (b), Tony Rabeson (dms).

Label / Distribution : Aléa

La géométrie de Pierre de Bethmann revêt des formes variables : elle peut tour à tour dessiner un quadrilatère, un pentagone, un heptagone et même un dodécagone. L’histoire de son Ilium a vu en effet le pianiste s’exprimer aussi bien en quartet qu’en septet et, plus récemment, à la tête d’un Medium Ensemble dont le récent Sisyphe, double album d’une grande richesse, constituait l’un des témoignages les plus aboutis de la créativité d’un musicien qu’on aime toujours retrouver, fidèle au rendez-vous d’un jazz habité d’une énergie peu commune. Et le voici qui revient, en trio cette fois, avec à ses côtés deux musiciens aguerris et chantants comme lui, Sylvain Romano et Tony Rabeson. Souvenons-nous qu’au cours de la seconde moitié des années 90, De Bethmann s’était illustré dans une formule similaire au sein de Prysm avec Christophe Wallemme et Benjamin Henocq ; une formation essentielle dont le retour en 2009 à la faveur de deux résidences à Paris et Lyon avait été l’occasion d’un très beau Five.

Cette fois, il semble bien que le hasard a joué un rôle significatif (mais le hasard existe-t-il vraiment ?) dans la naissance d’une formation dont l’existence n’a été décidée par aucun calcul préalable. Un concert impromptu, le désir de profiter de circonstances favorables pour retrouver des musiciens suscitant l’admiration et… le besoin de faire ensemble un bout de chemin. Un nouveau trio voyait le jour dans la lumière d’une conjonction tout autant artistique qu’humaine.

Essais / Volume 1 (voilà un titre qui laisse espérer que d’autres verront le jour, ce dont on ne peut que se réjouir) est un disque heureux. C’est l’impression première qui émane (et persiste au fil des écoutes) des neuf compositions choisies par Pierre de Bethmann et ses deux complices. Le répertoire est exclusivement composé de reprises : on y retrouve ce qu’on appelle communément des standards venus d’outre-Atlantique (comme « Promise Of The Sun » d’Herbie Hancock ou bien encore « Beautiful Love » et « Without A Song »), mais aussi des chansons françaises (« La mer » de Charles Trénet ou « Pull Marine » de Serge Gainsbourg), le fougueux « Indifférence » de l’accordéoniste Antonio Murena, le poignant « Chant des marais » écrit dans l’un des premiers camps de concentration allemands ou bien encore la méditative « Sicilienne » de Gabriel Fauré, quatrième mouvement de la suite Pelléas et Mélisande. Soit une sorte de dictionnaire amoureux d’une musique baignant en pleine lumière, dont les multiples éclats à forte teneur mélodique sont servis par une interprétation mariant en toute fluidité puissance et légèreté. Les différences sources auxquelles Pierre de Bethmann, Sylvain Romano et Tony Rabeson – trois musiciens impressionnistes – n’en font plus qu’une et le choix d’une instrumentation acoustique, qu’on qualifiera volontiers de classique (cette fois, pas de Fender Rhodes, mais uniquement du piano), ne fait que renforcer le sentiment d’être emporté dans un moment de musique intemporelle, captée au plus près des émotions par Philippe Gaillot au studio Recall de Pompignan (petite commune du Gard). Essais / Volume 1, on l’aura compris, est un disque de plénitude et de désir partagé, qui nous rappelle que c’est bien avec le cœur que le jazz se joue depuis toujours et qu’il continuera à écrire son histoire.

Cet album voit le jour sur le label Aléa dont il est la première référence. Cette nouvelle signature est l’émanation d’une association homonyme créée en 2005, dédiée à la musique et aux différents projets de Pierre de Bethmann. Souhaitons-lui longue vie et beaucoup de successeurs d’un même niveau que ces Essais d’ores et déjà transformés !